samedi 11 février 2017

Hôpital et beauté des lieux, transcendance de l'art

Ô triste, triste est notre hôpital (NHC)

Jean-Louis Mandel, professeur émérite, ancien chef de service (diagnostic génétique) au NHC de Strasbourg
« Cher Monsieur Daniel Buren, votre installation si ludique et colorée va disparaître bientôt, semble-t-il, du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, et je crois que la majorité des Strasbourgeois et des visiteurs vont le regretter.
Mais peut-être vous serait-il possible de faire une intervention plus pérenne pour mettre de l’art et de la joie dans notre Nouvel Hôpital Civil qui est triste à mourir (ce qui n’est pas recommandable pour un hôpital), notamment le parvis d’entrée, entre gris sombre et bleu pétrole, mais l’intérieur (gris plus clair, et toujours ces colonnes bleu pétrole) n’est pas terrible non plus.
Pas une seule intervention artistique visible : le 1 % artistique ne s’applique-t-il plus aux bâtiments publics ?
L’architecte qui a commis ce bien triste bâtiment (un spécialiste du gris !) n’est plus là pour protester contre une atteinte à son œuvre…
Voilà ci-dessous une photo qui illustre mon propos.
Et si vous n’étiez pas disponible pour une telle opération, peut-être que les talentueux “street artists” de Strasbourg ou les élèves de la HEAR (Haute École des Arts du Rhin) pourraient faire des propositions ? »

DNA 11-02-2017

dimanche 5 février 2017

Merci Petit Gaspard

et Merci aussi à sa famille qui partage ce qu'ils ont vécu et appris.

""Bonjour, moi c’est Gaspard.
Comme ma maman et mon papa aiment beaucoup me lire de belles histoires, ils se sont dit que je pourrais peut-être te raconter la mienne. Alors, comme je suis discipliné (papa est militaire, alors à la maison, attention les gars faut obéir !), je me lance, du haut de mes 2 ans… Enfin, de mes 30 mois, plus précisément. Oui, c’est un peu bizarre, mais chez nous, on compte les mois. Tu vas vite comprendre pourquoi.
A ma naissance, tout roulait comme sur des roulettes. Mon grand frère et mes deux grandes sœurs sont venus me voir à la clinique, m’ont fait plein de câlins. On a pris plein de photos, comme si j’étais une star de cinéma. Et au bout d’une semaine, comme dans le monde des Bisounours, on est tous rentrés à la maison. J’ai mis un peu de temps à faire mes nuits, mais c’était juste pour les embêter.
Or à force de m’observer sur mon tapis de jeux, Maman a fini par remarquer qu’un petit truc clochait. Je n’arrivais pas trop à tenir assis, je ne disais pas grand-chose, alors que les trois grands, au même âge, étaient bien plus débrouillards. En revanche, j’adorais rigoler, et ça, mon papa qui est bon public, ça l’éclatait. Mais bon, à onze mois, on est quand même allés voir un médecin neuro-truc (un mot compliqué qui fout la trouille) pour qu’il nous rassure.
Il s’est avéré que maman, comme souvent, avait eu raison, et que papa, lui qui disait toujours à maman « T’inquiète pas, il prend juste son temps, ce p’tit gars » s’était planté sur toute la ligne. On nous a expliqué que j’avais une maladie génétique, une maladie très très rare. Ça s’appelle la maladie de Sandhoff. Le truc le plus embêtant avec cette maladie, c’est qu’il n’existe pas de médicaments pour la soigner, et que du coup, je ne vais pas rester très longtemps sur cette terre. C’est une maladie neuro-dégénérative. En gros, pour t’expliquer, tu passes en deux ou trois ans de l’état de « bébé de la pub Evian » (tu sais, celui qui fait du patin à roulettes) à l’état de « petit bébé légume ».
Le jour où papa et maman ont appris la nouvelle, papa a été un peu chochotte. Maman, elle, s’y attendait parce que son cœur de maman sent très bien les choses. Du coup, elle a dû déployer des trésors d’énergie pour que papa remonte la pente. Et comme elle a des pouvoirs magiques, elle a réussi. C’est sûr que parfois, même s’ils essaient de se cacher, et même si je ne vois plus très bien du tout, je sens que c’est difficile pour eux. Surtout quand je suis à l’hôpital (heureusement, Bonne-maman et Timam, mes deux grands-mères, les aident beaucoup).
Pour les encourager, j’ai reçu à la naissance les plus beaux yeux du monde, de grands yeux bleus avec des cils plus beaux que ceux de Scarlett Johansson (papa, il l’adore, Scarlett). Alors, comme aujourd’hui je n’arrive plus à rigoler, ni à parler, ni à manger par la bouche, ni à voir, je leur fais des milliers de clins d’œil. Maman dit toujours qu’on voit la beauté de mon âme à travers mes yeux. Qu’est-ce qu’elle est poète maman, tu ne trouves pas ?
Aujourd’hui, donc, j’ai 30 mois. Tu as compris maintenant pourquoi chez nous, on compte les mois ?
Papa, maman et les trois grands ont aussi eu de la chance : ils ont tous les cinq reçu plein de pouvoirs magiques pour m’offrir une vie de rêve. Comme toi, Marie, je réalise que plus c’est difficile, plus on reçoit de pouvoirs magiques. Alors, je profite de milliers de bisounes par jour (on dit bisounes chez nous), entre mes séances de muscu avec le kiné. Et surtout, je sens que tout le monde m’aime et que mon arrivée a été un cadeau, pour que notre famille grandisse en amour et en simplicité. Papa dit même qu’« on a de la chance de vivre la radicalité » ! Il est complètement fou ! Ils ont juste compris que, comme mon homonyme le roi Mage, je suivais mon étoile, inexorablement. Et même si mon voyage sera moins long que le sien, ce que je vis avec ma famille est du coup tellement dense, tellement intense, que ça équilibre, en quelque sorte. Disons que ça compense, quoi !
Le seul problème, c’est que je sens bien que je vais monter au Ciel avant eux, et ça m’embête un peu parce que normalement, ça aurait dû être à eux de me précéder un jour dans les nuages et de m’y attendre à la cool. Du coup, pour compenser cette petite anomalie, je fais plein d’efforts chaque jour pour qu’ils soient fiers de moi. Je me bagarre tous les jours, pour tousser, bien déglutir, bien respirer, ne pas attraper de rhume ou de microbes, bien dormir. Et je crois que ça fonctionne. Ils me regardent toujours avec un grand sourire, même si je sens aussi que quelques larmes tombent parfois de leurs yeux. Des chochottes, je te dis !
Mais de toute façon, je suis absolument certain qu’ils savent qu’un jour, tout là-haut, on sera réunis tous les six. Sans maladie, ni handicap. Pour toujours.
Gaspard
Gaspard est né le 30 août 2013, à côté de Rennes. Il a 1 grand frère, âgé de 9 ans et 2 grandes sœurs qui ont 7 et 4 ans et demi (et chaque mois compte chez nous!).
 Le 29 septembre 2014, il est diagnostiqué de la maladie de Sandhoff.
Cette maladie se traduit par une dégénérescence du système nerveux central. La prévalence en Europe est d'environ 1 cas pour 130 000.
Elle se traduit par l'apparition de sursauts inépuisables au bruit, une cécité précoce et une détérioration motrice et mentale progressive. D'autres symptômes sont souvent présents, tels qu'un visage poupin (c'est aussi pour ça qu'il est si beau!) et des infections respiratoires fréquentes.
Le développement est normal pendant les 3 à 6 premiers mois de vie, puis la maladie apparaît et évolue rapidement.
Il n'y a pas de traitement spécifique pour cette maladie, et le pronostic est sombre, l'espérance de vie dépassant rarement 4 ans.
Bref, une vie courte, souvent difficile, mais pleine d'Amour, de bisounes et de tendresse.
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"Nous avons l’immense tristesse de vous annoncer la mort de notre petit Gaspard.  Son âme de chevalier est montée au Ciel mercredi 1er février, en début de soirée. Il est parti apaisé, sans souffrir, accompagné jusqu’à son dernier souffle par sa maman", écrivent-ils sur Facebook.

Maladie de Sandhoff

Gaspard était atteint de la maladie de Sandhoff, une maladie neuro-dégénérative. L'espérance de vie des enfants qui souffrent de cette maladie dépasse rarement les 4 ans.
Il y a trois semaines, la famille de Gaspard s'était préparée "à le voir partir". "Sa vie ne semblait plus tenir qu'à un fil. C'était il y a 15 jours..." """
publié dans divers journaux et Facebook

La vie, en vers et contre tout


Monique Maitte

Elle est à Strasbourg la porte-parole des sans-abri. Cet hiver, on l’a souvent vue, entendue, lue sur les réseaux sociaux. Mais au fait, qui est Monique Maitte ?

Elle est là, assise sur une banquette au fond d’un café voisin de la place Kléber à Strasbourg. C’est une chance : on dit d’elle qu’elle est parfois insaisissable. Le patron lui sert un chocolat, sans même prendre la commande. C’est un de ses refuges, un endroit discret où elle vient se réchauffer quand il fait froid dehors.
Petite femme menue, peau diaphane, fragile au premier abord, elle cache souvent son visage derrière un rideau de cheveux châtains et guette. Elle guette quoi au juste ? « Rien de particulier, il faut être sur ses gardes. »

Il lui est arrivé d’être abandonnée et de s’être, dans le même mouvement, abandonnée elle-même

À l’autre bout de cette place emblématique, dans le « passage du Monoprix », un de ses amis, Roland, barbe broussailleuse et cheveux en bataille, réfugié sous une couverture où il cache ses trésors, a élu domicile. Un peu plus tôt dans l’après-midi, elle lui a claqué deux bises et rendu compte de ses échanges avec un fonctionnaire de la préfecture, ou de la Ville. « Il faut le sortir de la rue… »
Monique Maitte est un trait d’union, une porte-parole, peut-être aussi une « rescapée ». C’est le mot qui vient à l’esprit de Simone Fluhr, documentariste qui fut longtemps travailleuse sociale auprès des demandeurs d’asile et des mal lotis. « Elle a le comportement des gens qui se sentent coupables de ne plus être à la rue. »
Alors, elle nourrit son quotidien de va-et-vient et ne perd pas de vue ceux qu’on appelle les SDF. Et s’il lui arrive de fuir les bien-logés, elle n’a jamais fait défaut au tout petit peuple de la rue. Elle a été SDF. « Ces trois lettres maudites qui vous privent de tout respect, parfois même de celui des gens qui veulent vous aider. »
Monique a pris des coups. Encaissé des mots qui font mal. Dégringolé les étages, dormi dans un local à vélo. Elle a buté sur des portes dont les serrures ont été changées. Il lui est arrivé d’être abandonnée et de s’être, dans le même mouvement, abandonnée elle-même pour plonger dans la nuit noire de la rue et de la dépression. Elle a aujourd’hui 58 ans.
Difficile d’établir une biographie. La rue est une impasse administrative où tout se passe dans l’instant, où peu de choses sont consignées. Elle raconte qu’elle a grandi à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), dans le voisinage d’une maison d’arrêt où travaillait son père, un ancien militaire. Elle est partie à Paris poursuivre des études commencées à Toulouse ; elle a travaillé comme analyste financier et enseigné le français dans des collèges. Elle a fondé une famille. Et tout a basculé, dans la violence et les coups. Une nouvelle fois, elle rompt tous les liens. Direction Strasbourg, allez savoir pourquoi…

Des textes courts qui cognent, publiés aussitôt sur un blog

Tout s’arrange pour un temps, pour quelques années, avant une nouvelle descente aux enfers. Des coups, une hospitalisation. Des portes qui se ferment.
Le temps de s’extirper d’une séquence longue et difficile, qui la jette littéralement à la rue pour la première fois en 2005 ou 2006 - ses souvenirs sont confus -, la voilà qui reprend pied et revient à la vie !
C’est à Strasbourg qu’émerge la porte-parole du Collectif SDF Alsace. La poétesse de la rue écrit des textes courts qui cognent, publiés aussitôt sur un blog créé en 2007.
C’est le temps du squat Gruber. Elle y vit avec un chat et un ordinateur, dans un refuge aménagé dans un entrepôt frigorifique, fait de toiles translucides tendues depuis le plafond. Elle dort un temps au Château d’Eau, un lieu d’accueil d’urgence. Le jour, elle est au squat Gruber. Les douches ici, le repas là, à l’extérieur sur des barbecues, à l’intérieur sur des poêles improvisés.
Elle apprend la rue. Comment « tenir une position » et s’approprier un lieu. Comment se défendre ; un trousseau de clés peut servir de poing américain. Où se réchauffer ; à la bibliothèque de la rue Kuhn ou à la gare. Où se mettre à l’abri pour quelques heures du désordre d’une vie où domine l’insécurité ; ce sera à l’église Saint-Thomas, où elle échange parfois avec un pasteur et écoute une école de musique qui vient répéter son spectacle. Le parvis de l’église Saint-Maurice, à l’autre bout du centre-ville, dans le quartier où elle avait été une « bien-logée », est un lieu de manche, tout comme l’Orangerie.
Vient l’épisode des Enfants de Don Quichotte. Le mouvement des précaires et des sans-abri né à Paris débarque à Strasbourg, place de la République et quai Sturm. Les services de l’État et de la Ville ont besoin d’interlocuteurs. Monique Maitte sera l’un des porte-parole et créera le Collectif SDF Alsace. Petit à petit se dessine un retour vers une vie moins difficile, un logement, puis un autre, un travail à la maison d’arrêt de l’Elsau. Un nouvel équilibre.

« Si elle n’habitait plus la rue, la rue continuait de l’habiter »

« Elle s’est reconstruite, raconte Simone Fluhr, mais si elle n’habitait plus la rue, la rue continuait de l’habiter. »
Monique Maitte révèle ses talents de fédératrice, « avec une certaine rudesse parfois », et met à profit son expérience de précaire pour essayer d’orienter l’action des pouvoirs publics.
Roger Winterhalter, l’ancien maire de Lutterbach, fondateur de la Maison de la citoyenneté mondiale à Mulhouse, se souvient de l’action montée par le Collectif SDF Alsace avec l’ENSAS, l’école d’architecture de Strasbourg, à l’automne 2013. Des étudiants ont planché sur des projets d’abris temporaires, une sorte de chaînon manquant entre l’hébergement d’urgence et l’habitat social. Ils ont imaginé des cabines dépliables, des « œufs dorés » qui se rapprochent plus du mobilier urbain que d’une construction… « C’était avant les municipales. Les élus présents étaient séduits. Mais ça n’a rien donné. Ce soir-là, j’ai été interpellé par la manière dont elle avait participé à l’animation de cette réunion ! »
« Elle illustre bien une chose à laquelle je crois : une personne en très grande précarité peut être une citoyenne active. »
Monique Maitte est vive, intelligente ; elle sait s’exprimer en public et met son énergie au service de la cause des personnes sans domicile. L’action citoyenne la mobilise.
Avec Eric Schultz, adjoint au maire de Strasbourg, elle participe à l’institution d’un temps de souvenir dédié aux morts de la rue. C’est l’œuvre du collectif Grains de Sable. « La mort anonyme efface toute une vie. Agir contre cet oubli, c’est agir pour les vivants qui sont dans la rue. Monique parle de ces choses comme personne ; elle y met du sens, de l’humanité, de la beauté, de la rage. »
Depuis mars 2015, le Collectif SDF mène aussi une action « Hygiène et vestiaire ». L’idée est simple : distribuer du savon, du shampoing, des serviettes hygiéniques, des sous-vêtements, les premiers dimanches du mois à la gare de Strasbourg. La mise en œuvre est originale : « Les personnes qui sont à la rue font partie de l’action, aident à la monter. Du coup, on apprend à se connaître. Les clichés tombent d’un côté et de l’autre », souligne Anne Schneider, une « bien-logée » qui a suivi Monique Maitte dans ce projet.

« La poésie est ma lame. Je l’aiguise chaque jour »

Mais sa vraie béquille est ailleurs. Depuis son enfance, elle griffonne et écrit. Et depuis 2007, elle tient son blog, « Poésie sans domicile ». « La poésie est ma lame. Je l’aiguise chaque jour et l’utilise sans pitié », avertit Monique en janvier 2010. De jour en jour, elle raconte, se raconte. « J’ai toujours gribouillé, mais longtemps sans rien garder. Sans la poésie et sans Lola, ma chatte, je n’aurais pas survécu. »
Anne-Florence Dauchez, danseuse et chorégraphe mulhousienne, raconte leur rencontre : « C’était lors d’une journée familiale d’ATD Quart-Monde, à Colmar. Elle promenait une petite valise dans laquelle il y avait de quoi écrire. Je l’ai trouvée étonnante d’entrée. Elle a noté ses coordonnées sur une assiette en carton que j’ai glissée dans ma poche. »
Ensemble, elles monteront un spectacle, auquel sera associé Gérard Leser (qui traduira les poèmes en alsacien) et auquel seront convoqués Claude Vigée, Abd al Malik et Nathan Katz. « Travailler avec Monique est une sacrée aventure. Elle te laisse seule face à la force de ce qu’elle écrit et tu dois te débrouiller. »
En 2014, tout est remis en question. La loi Sauvadet doit mettre fin à la précarité de certains agents publics en CDD dans des emplois à besoin permanent… ; elle va coûter à Monique Maitte son poste d’assistante de formation à la maison d’arrêt de Strasbourg. De mois en mois, la rue se rapproche.

Une main tendue vient de Mulhouse

Retour dans un squat. Retour de la dépression, retour de l’envie de tout envoyer valser. « J’irai cracher sur vos hécatombes », se fâche Monique, un matin de février, sur son blog.
Au printemps 2016, une main tendue vient de Mulhouse. Et un logement. Et des projets. La Maison de la citoyenneté mondiale lui ouvre ses portes. « Nous sommes prêts à reconnaître ses compétences », assure Anne-Florence Dauchez, qui milite aussi à ATD Quart-Monde.
« Je marche/et j’aspire l’air, j’aspire le soleil, j’aspire/et ma peau s’imprègne, et ma tête plonge sous elle/j’écarte les bras/je les lève vers le ciel et le touche en ombre du bout des doigts ».
La voilà revenue. À la lumière du jour, à Mulhouse et à Strasbourg.
lu dans les DNA
http://www.dna.fr/societe/2017/02/05/la-vie-en-vers-et-contre-tout