jeudi 28 novembre 2013

On pourrait en rire... encore faut-il ne pas avoir à en souffrir !


Tant que la "procédure"  est respectée et le pouvoir de l'argent sauvegardé....

A propos de la retraite devenue
"illégitime du seul fait que l’opinion publique apprenne son existence"

Retraite chapeau: la faillite de l’autorégulation

L’autorégulation du patronat français en matière de rémunération, c’est la règle du « pas vu pas pris ».
Le Haut Comité au gouvernement d’entreprise (ça fait sérieux) joue le rôle de cet enfant qui, face contre le mur, autorise les camarades avec lesquels il joue à 1-2-3 soleil à faire ce qu’ils veulent tant qu’il ne se retourne pas.
S’il tourne la tête, en revanche, le maladroit qui ne bougerait ne serait-ce qu’un petit doigt est éliminé. Et tout le monde reprend sa course joyeuse vers le trésor, imaginaire ici.
Philippe Varin, le président du directoire de PSA Peugeot Citroën, s’est fait éliminer parce que sa retraite chapeau était trop visible. En respectant la règle du jeu, il permet d’abord aux autres de continuer la partie. Sans avoir à changer la loi.
Le Medef et l’Association française des entreprises privées (AFEP), qui regroupe les plus grosses sociétés, ont salué « le sens des responsabilités et la décision courageuse » du patron du groupe automobile. Il venait d’annoncer, mercredi 27 novembre, qu’il renonçait « aux dispositions actuelles de [ses] droits à retraite » – une rente annuelle de plus de 400 000 euros, que PSA devait lui verser pendant toute sa retraite, en plus de ses autres pensions.
Tartufferie
Nous sommes en pleine tartufferie ! Ce Haut Comité des sages ne s’est en effet autosaisi du sujet qu’après que les médias se furent émus qu’une entreprise en difficulté eût provisionné, pour son futur ex-patron, 21 millions d’euros. L’objectif était d’éteindre le départ d’incendie.
Ce n’est pas la retraite chapeau de M. Varin qui a choqué ses pairs. Elle était mentionnée tous les ans en toutes lettres dans les documents publics du groupe, aux yeux de tous les hauts comités de la terre qui n’y avaient rien trouvé à redire.
Ses conditions étaient de fait dans les normes. Elle est devenue illégitime du seul fait que l’opinion publique apprenne son existence.
Si l’autorégulation mise en place par le Medef et l’AFEP voulait éviter les excès de rémunérations inappropriées, pourquoi ne s’autosaisit-elle pas, par exemple, des conditions auxquelles le prochain patron de PSA, Carlos Taveres, vient de signer.
Fixe, variable, retraite chapeau, indemnités de départ, tout s’est négocié sans doute (on n’en sait rien) en respectant les règles du nouveau code de gouvernance AFEP-Medef.
Il est probable que, malgré les difficultés de PSA, les suppressions de milliers d’emplois et les sacrifices négociés sur les salaires du personnel, le futur patron du constructeur soit rémunéré, lui aussi, à un niveau comparable à celui de ses pairs. Aurait-il signé dans le cas contraire ?
L’incompréhension est là. L’autorégulation se préoccupe de procédure et de respect des actionnaires. Elle n’a aucunement stoppé l’inflation des rémunérations. L’opinion publique se préoccupe de leurs montants, dont on ne sait plus combien de smic ils représentent.

Relation "lisse" ou terre d'apprentissage ?


l'apparence d'une relation lisse d'un "sans souci" ... se dire que rien n'est parfait.... chercher dans le regard des autres l'assurance que "tout va bien"... confortable, rassurant ... l'entourage apprécie, la famille aussi ...

./.

faire face aux incompréhensions quand elle se présentent, avoir envie d'y plonger (sans s'y vautrer !), voir le potentiel qui existe pour rencontrer l'autre (par opposition au blocage), pouvoir s'exprimer sans peur, porter une attention particulière à nos susceptibilités (l'expression de vécus passés)  qui risqueraient de couper l'élan de l'allant, savoir écouter, se sentir écouté... être dans le silence aussi, laisser résonner.....

Tout un art

l'apprentissage d'une vie.

mardi 26 novembre 2013

Ma cuisine intuitive : galette craquante



Purée de soja bio (ou lentilles, ou autre légumineuse.... à cuire longtemps) ; un peu de farine sans gluten ou avec ;oeufs ; un peu d'huile d'olive, un peu de sel, mélanger.
Disposer dans une machine à cornet de glace, bien appuyer pour étaler finement la pâte, attention c'est rapide ! à retourner éventuellement car l'avant cuit moins que l'arrière (propre à mon ustensile...)
En faire deux, étaler un peu de sirop d'orge Celnat... rajouter un peu de cannelle ! un délice !!! craquant...
version salée : du pâté végétal... de la purée de sésame .... noir ! je viens de le découvrir.... du pesto fait maison..... etc etc... au gré de l'imagination

dimanche 24 novembre 2013

la relation à l'autre n'est pas une fin en soi

Lu sur le site de Thierry VISSAC
(je partage ce qui résonne en moi...; non des "vérités" ou ce que je prendrais comme telles)


La relation à l’autre comme objectif principal de la vie personnelle
 
La relation à l’autre et principalement le couple, sur lequel les êtres humains placent leur attention et leurs espoirs, n'est pas une fin en soi. Il n'est pas l'objet de l'aboutissement. Il peut donc se continuer ou se dissoudre, c'est égal dans ce regard. Parfois, il vaut mieux une rupture revitalisante que de tenter de réparer des schémas profondément ancrés dans la frustration et l'habitude. Dans ce contexte et sur ces bases, faire durer une relation sentimentale, comme s’il fallait sauver à tout prix nos constructions, est égal à en changer tout le temps.
Quoi qu'il en soit, si la relation à l’autre peut être l’espace d'expression de l'ouverture du cœur, elle n'en est pas vraiment la cause. Polariser l'attention sur un instrument de la quête personnelle pour accéder à l'éveil spirituel est donc profondément décalé ici.

la joie en soi


 
lu sur le site de Thierry VISSAC http://www.istenqs.org/La_Relation.htm
 
La relation est l’espace d’expression de la joie
 
L'histoire personnelle, le couple, la profession, sont des espaces d'expression de la joie d'être vivant et non des causes de cette joie. La confusion sur ce point conduit à la frustration et au sentiment de tourner en rond si répandu dans les cercles de "travail sur soi". Cela signifie que la joie doit précéder la relation et non en être le fruit attendu. Et cela implique d’avoir connu la joie en soi avant de la chercher partout à l’extérieur de soi.

Agir au lieu de s'indigner

extraits (lu sur http://moinscplus.blogspot.fr/) :

« changer la société
sans prendre le pouvoir »


 Je pense qu’il vaut mieux agir même avec un haut degré d’ignorance.
Qu’est-ce que tu fais ? Je ne sais pas trop, mais je vais de ce côté-là… Plu-
tôt que d’avoir une indignation globale pour l’ordre du monde.
L’ordre global du monde, c’est l’impensable total. Donc il vaut mieux
plus concrètement chercher à comprendre dans l’action.


 « PLUTÔT QUE D'AVOIR UNE INDIGNATION GLOBALE, IL VAUT MIEUX AGIR » Entretien avec Miguel Benasayag
Antoine  Lagneau et al.
La Découverte | Mouvements
2013/3 - n° 75 pages 143 à 156

Miguel Benasayag, philosophe, psychanalyste et essayiste
franco-argentin, militant guévariste durant la dictature en
Argentine (PRT-ERP), s’inscrit dans la mouvance libertaire.
Critique envers « la militance triste », méfiant vis-à-vis
des partis, il revient sur son expérience dans la guérilla
et sur ses idées développées par la suite dans Pour une nouvelle
radicalité. Du collectif Malgré Tout à son travail actuel avec le
mouvement coopérativiste en Italie, il détaille pour Mouvements
ses différents engagements fondés sur l’expérimentation
(théorique et pratique) et formule des hypothèses sur les
nouvelles ontologies en cours d’émergence : quelle sera donc
cette « nouvelle bête » qui marquera notre époque comme les
figures de Dieu, puis celle de l’Homme, avaient marqué les
précédentes ?

Mouvements (Antoine Lagneau et Gus Massiah) : Pouvez-vous revenir sur
votre engagement, notamment vos premiers pas en Argentine ?

Miguel Benasayag (M. B.) : En 1969, l’Argentine était une dictature de
plus en Amérique latine… J’évoluais alors dans le milieu de la contre-
culture, théâtre, anarcho-hippie, je jouais de la batterie dans un groupe.
C’est le moment où a commencé, en Argentine, une insurrection.
J’avais 15 ans et l’engagement, ce n’était pas une question. La société
civile, la culture, la vie, tout était du côté de ce qui s’opposait à l’op-
pression des militaires. La lutte contre celle-ci a vu l’émergence de deux
courants très forts. Le courant communiste classique qui était très disci-
plinaire, pro-soviétique, qui tournait le dos au rock, aux femmes, aux
Indiens, à la contre-culture, était absolument triste. Et de l’autre côté,
 une sorte de sacré bordel sans délimitations ni bornes précises qui allait
de l’anarcho-hippisme, au féminisme, en passant par l’indigénisme, la
contre-culture.
Ce courant s’identifiait avec l’image du Che car contrairement au révi-
sionnisme actuel, le guévarisme était antisoviétique, anticommuniste,
contre l’idée qu’il fallait des conditions objectives, des étapes de l’histoire.
Or, nous qui étions dans la contre-culture, les jeunes, les femmes, les
Indiens, nous avions envie de dire « maintenant, tout de suite ! ».

M. : Peut-on dire que votre engagement démarre à partir du moment où
vous intégrez ces mouvements pro-guévaristes ?
M. B. : Oui, à partir de là, j’étais engagé. On disait alors « Face aux mili-
taires, il y a l’hypothèse de Guevara, qui est de dire : ici, il n’y a pas de
bourgeoisie nationale… ici, il y a une oligarchie armée, il faut utiliser les
armes aussi, pas uniquement, mais aussi… ». Donc, ce n’est pas que tu
franchis le Rubicon, mais il y a des réunions avec les copains, des copains
de copains que tu connais, puis un jour c’est pareil que la veille sauf que
maintenant tu sais que tu es dedans. Être dedans à 15-16 ans, cela signi-
fiait transporter des choses, faire des bombages, des petits entraînements.
Et pour mes premiers combats j’avais à peine à 18 ans…
M. : C’était des combats armés ?
M. B. : Combats armés oui, mais dont l’intensité augmente progressive-
ment. D’abord, tu désarmes un flic, tu participes en appui à un braquage
d’une banque ou d’un commissariat, tout cela petit à petit. Parallèle-
ment, 80 % de notre temps, bien qu’étant combattant, nous le passions
en travail de base comme l’organisation du contre-pouvoir, de la contre-
culture…
Quand la lutte armée est devenue importante, il y a eu une sorte de
casting qui s’est mis en place : beaucoup de gens très bien de gauche
n’avaient pas la possibilité de faire la lutte armée donc restaient de côté,
car la lutte armée que nous avions développée était à un niveau très
élevé, on attaquait des casernes, etc.
Dans la lutte armée, on va te torturer, te tuer. Il y a aussi, à un moment
donné, l’acte de tirer sur une personne. Cela change tout. Moi par
exemple, à l’époque, je faisais médecine pour guérir les gens. Face à
cette situation, beaucoup de gens très bien ne pouvaient pas le faire, par
contre, il y avait des personnes pas terribles, un peu violentes et à peine
de gauche qui entraient dans le casting. La lutte armée aussi est un cas-
ting historique et social très particulier.
Donc à 18 ans après mon bac et une année de médecine, je me suis
retrouvé étudiant et combattant. J’étais très critique de certaines ten-
dances dans la lutte armée. Mais pour être critique, pour pouvoir criti-
quer les gens qui étaient dans la ligne armée stricto sensu, il n’y avait pas
d’autre choix que d’aller au front : il fallait faire ses preuves.
Je me suis donc vu embrigadé très vite dans les commandos armés les
plus surentraînés.
M. : Dans le mouvement guévariste dans lequel vous étiez, y avait-il une
stratégie de conquête du pouvoir ?
M. B. : Il y avait deux lignes. Il y avait le Parti qui dirigeait l’armée qui
se disait marxiste-léniniste-guévariste donc plutôt philo-trotskiste, plutôt
critique par rapport à l’Union soviétique et l’armée. L’armée était pour la
démocratie, de gauche etc.
Moi, je n’étais pas au Parti, j’étais dans l’armée. Il y avait une sorte de
dégoût de ma part pour le Parti, j’étais trop critique, j’étais trop marqué
anarcho-hippie.
J’étais alors responsable d’un bidonville énorme qui était le bidonville
de Barco Flores. Je passais mon temps à y organiser de l’alphabétisa-
tion, de l’organisation syndicale, des structures sociales aussi – comme
une petite caserne de pompiers, parce qu’un incendie dans un bidonville
c’est très grave… Donc je faisais ce en quoi je croyais : l’organisation des
contre-pouvoirs.
M. : Toute votre pensée a ensuite été marquée par cette expérience ?
M. B. : Oui, c’est ça, et puisque l’on dit qu’il n’y a que les imbéciles qui
ne changent pas d’avis, je suis un imbécile total alors ! (rire).
Ainsi, la première fois que j’ai compris que je montais en grade dans
l’armée, c’était lors d’une réunion avec un dirigeant, Armando Jaime, qui
était un grand leader syndicaliste. Moi, j’étais le jeune brillant combattant
qui la ramenait et il fallait choisir un responsable du bidonville et je me
souviens parfaitement de ce que j’ai dit : « il me semble que nous, on a
trop d’idées parce que nous sommes étudiants, révolutionnaires, mais à
l’inverse, quelqu’un de la base est à la traîne, ce qu’il faut, c’est quelqu’un
vraiment du bidonville qui ne soit ni un théoricien, ni quelqu’un qui soit
à la traîne ». J’avais donc 18 ans, je pensais qu’il fallait des modes d’orga-
nisation horizontaux… et je me méfiais du Parti !
Après je suis tombé trois fois, dont deux fois où j’ai pu m’échapper,
mais pas la troisième. On touche là au côté horrible de cet engagement,
j’ai passé plusieurs mois dans des centres de torture, quatre ans et demi
en prison où ils massacraient des gens, torturaient… À la même période,
en France, Valéry Giscard d’Estaing était au pouvoir, Paul Aussaresses
entraînait des militaires argentins, leur apprenait à torturer et Maurice
Papon était ministre du Budget dans le gouvernement Barre.
C’était en 1978, Papon négociait alors avec l’Argentine, au même
moment, Gus (Massiah), François Gèze et Jean-Marie Brohm ont fondé
le Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe
du monde de football (Coba) dénonçant le contexte de dictature. Il y a eu
une mobilisation énorme et pour répondre à ça, le gouvernement a dit :
« il y a quatre Français prisonniers en Argentine, on va les libérer… ».
D’abord, ils voulaient libérer deux religieuses françaises, mais Papon a
été averti qu’elles étaient mortes. Il y avait une liste de Français arrêtés en
Argentine et, pour couvrir la mort des religieuses et répondre à la cam-
pagne du Coba, ils nous ont utilisés… Ils sont venus me chercher dans
ma cellule, étant français par ma mère qui est juive française…
M. : Vous avez été libéré juste avant la Coupe du monde de football en
1978 ?
M. B. : Non, après la Coupe du monde. Et ça a été tout un cirque, j’étais
dans un avion argentin jusqu’à Paris et ils nous ont libérés à Orly.
M. : Dans un entretien, vous avez déclaré : « quand je suis arrivé en
France, je suis arrivé dans un autre monde ». Pouvez-vous nous dire
pourquoi ?
M. B. : En arrivant, les gens avec qui j’étais en contact à l’époque étaient
du Coba, une mouvance un peu à gauche. J’ai en effet senti que quelque
chose avait changé en France par rapport à ce que j’avais pu lire ou
entendre sur ce pays de mon Argentine natale. L’expression la plus stu-
pide, c’était peut-être ceux que l’on appelait les « Nouveaux philosophes4
 ».
Dans les discussions que nous avions dans le Coba, on constatait un
abandon du léninisme, un abandon de certaines positions critiques, et
bref, au bout du compte, le socle qui avait été le nôtre, de l’historicisme, de
la révolution, du déterminisme, cette considération hégeliano-darwinienne
qui fait qu’il va forcément arriver quelque chose, tout cela était cassé.
Gus Massiah, François Gèze, les amis autour… ne pensaient donc plus
en ces termes-là, ils considéraient qu’il fallait lutter pour la justice sociale,
mais ils n’avaient plus ce socle.
Moi, pendant quelque temps, j’ai aussi continué à militer dans les cel-
lules de Paris de l’ERP (Armée révolutionnaire du peuple). Ce sont ces
cellules parisiennes qui ont exécuté Somoza au Paraguay. Pas pour se
venger, je pense que c’était un acte de résistance, mais ce dont je me suis
rendu compte, c’est que dans la lutte armée, à partir d’un certain seuil, tu
ne sais plus vraiment qui commande – ceci dit, sans avoir aucune théorie
du complot.
Attaquer un commissariat, braquer une banque, piquer un camion de
nourriture pour distribuer dans un bidonville, on comprend de quoi il
s’agit, qui commande et pourquoi on le fait. Après Somoza, je me suis
dit : on ne sait plus vraiment ce que l’on fait, ni pour qui on le fait…
M. : Pour vous est-ce vraiment la fracture ? C’était en quelle année ?
M. B. : Oui. Cela se passe en 1980. La caricature de tout ça, c’est Carlos.
Qui est Carlos ? Qu’est-ce qu’il fait ? Le côté tragique pour Carlos c’est
qu’il ne sait pas lui-même ce qu’il fait et pourquoi. Il ne l’a pas su. Le
comprendre aurait nécessité un passage d’une réflexion militaire à une
réflexion politique jusqu’à pouvoir dire : les actes n’ont du sens qu’au
niveau local.
Au niveau global il y a une transition de phases où l’on se retrouve
placé dans un régime que personne ne maîtrise. Je pense que le régime
du global est un régime, comme dirait Foucault, de dégagement de stra-
tégies sans stratège. C’est très important car les gens pensent que le glo-
bal peut être atteint à partir du local. Ce n’est pas vrai, il y a un moment
où il y a un changement de phases, il y a une discontinuité critique, une
masse critique.
 Ça va aussi avec la compréhension de la fin de l’époque de l’Homme
dans laquelle celui-ci fait l’Histoire en posant la question de son rôle dans
cette Histoire. J’en arrivais à la conclusion que l’espèce humaine, avec sa
caractéristique d’espèce culturelle, ne peut pas orienter l’évolution dans
des termes vraiment globaux…
Il me semble que c’est un point fondamental, car la plupart des copains
et copines qui ne tiennent pas le coup, qui lâchent l’affaire, c’est précisé-
ment parce qu’ils se disaient avec espoir « ce que je fais localement, par
diffusion, par théorie des dominos va devenir global dans une linéarité ».
Mais quand ils doivent accepter que ce n’est pas possible, ils arrêtent et
se disent : « si tout ce que j’ai fait ne peut pas garantir la résultante, à quoi
bon ? »
L’époque de transition actuelle exige une réponse à ce « À quoi bon ? ».
Car aujourd’hui, quelqu’un peut être dans la croyance qu’il veut, mais
rationnellement, d’un point de vue épistémologique, notre époque n’a
aucune possibilité de dire que la résultante émergente est maîtrisable
depuis le soubassement.
Aujourd’hui, la rationalité ne permet pas de dire que la résultante des
actions multiples peut être maîtrisable. Il y a une discontinuité que nous
devons accepter pour militer, pour s’engager.
Le défi le plus grand, c’est d’avoir le courage d’accepter cette inconnue,
de dire : « peut-être que si je fais tout bien, demain ce sera la catastrophe »
ou « peut-être que si je ne fais rien, demain ça ira très bien ».
Donc les raisons d’agir, il faut les puiser ailleurs que dans la résultante
qui est plutôt stochastique, inopinée…
Il y a quelque chose de très important dans le changement de para-
digme : les raisons d’agir ne peuvent plus être posées dans la trans-
cendance, soit religieuse, soit désacralisée. Il faut abandonner cette
transcendance-là. Les raisons d’agir aujourd’hui ne peuvent être fondées
sur la certitude d’une résultante. Ça, c’est un défi énorme.
M. : Ce raisonnement émergeait déjà quand vous avez créé le collectif
Malgré Tout ?
M. B. : C’était le manifeste du collectif Malgré Tout, écrit avec, entre
autres, Gus Massiah, François Gèze, Jean-Marie Brohm… Il s’agissait de
dire : aujourd’hui, la pensée complexe est désengagée et l’engagement
est dé-simpliste. Notre défi est de penser l’articulation du complexe avec
l’engagement et le premier pas était de dire : il faut accepter l’incomplé-
tude de notre raisonnement. Ça voulait dire qu’il y avait une inconsistance
logique qui était valable…
Ça a été très bien compris par beaucoup de gens, en particulier par
beaucoup de jeunes : on remet tout en cause mais malgré tout, on milite.
Ce qui signifiait aussi : la liberté de tout remettre en cause n’entraîne pas
le désenchantement.
Ce qui était concret, c’était ça : on n’ignorait pas la rupture – tout le
monde n’était pas dans la capacité de théoriser la rupture – mais on com-
prenait qu’il y avait une rupture et qu’il fallait l’assumer. Quand je dis concret, c’est concret, c’est par exemple Scalp Reflex, c’est aussi le début du Dal (Droit au logement), la batte de baseball contre les
skinheads.
M. : Et vous étiez proches de ces mouvements, à travers le collectif ?
M. B. : Grosso modo, c’était le départ de ces choses-là. Chacun a fait ce
qu’il pensait, y compris à Marseille, les copains qui ont plastiqué les trucs
de Le Pen. Tout en se disant qu’il y avait une incertitude, il y avait des
choses à faire, très concrètes, car c’était l’époque skinhead, la montée de
Le Pen. Et il y avait une grande radicalité.
Nous, on fonctionnait aussi avec le Centre d’études et d’initiatives
de solidarité internationale (Cedetim). On a fait un séminaire toute une
année sur les changements de paradigmes. Là, tous les collectifs étaient
présents : il y avait une sorte de nébuleuse… c’était compliqué. Le Parti
communiste nous considérait comme de la merde, on ne cherchait pas à
le séduire non plus. C’était très difficile : les militants classiques considé-
raient que c’était peine perdue, mais c’est vrai que beaucoup de gens se
sont rapprochés de nous.
M. : Est-ce que vous pensez que les ferments que vous avez posés avec le
collectif Malgré Tout ont été durables ?
M. B. : Je pense que nous sommes un élément de plus avec le Cedetim
et le début du Dal, dans le soubassement de la nouvelle radicalité émer-
gente. On a fait beaucoup de choses, on a publié beaucoup de textes
avec le Dal, avec Act Up, avec Agir contre le chômage, tous ces nouveaux
mouvements. On travaillait avec tous, comme en Argentine, comme en
partie en Belgique.
C’est ce que nous avons apporté : la nécessité de remettre sur le tapis
toutes les voies, retrouver la liberté situationnelle, retrouver Marx, ne pas
avoir peur de chercher dans toutes les directions.
En fait, on récupérait tout, on récupérait les groupes Action prison,
les foucaldiens, tous ces gens-là… C’est très difficile de savoir quelles
influences tout cela a eu. Ce qui est sûr, c’est que tous ceux qui bougeaient
à un moment donné ou un autre nous contactaient, et nous, on travail-
lait avec. Ce dont je suis certain, c’est qu’on était à la hauteur de l’époque.
M. : Cette époque, c’était… ?
M. B. : De 1980 jusqu’à Marcos et le début du Forum social.
M. :  La naissance de l’altermondialisme donc… Ce qui est étonnant,
c’est que les années 1980, ce sont quand même les « années fric », la fin
des idéologies et au même moment ce que vous faisiez rencontrait un
écho.
M. B. : C’était une époque pendant laquelle il fallait avancer dans une
certaine obscurité. Tu ne pouvais pas dire exactement ce que tu défen-
dais, pourquoi tu continuais à agir, c’était compliqué. Les années 1980,
c’étaient les années d’une barbarie totale.
M. : Être un militant dans les années 1980 était donc difficile ?
M. B. : Être quelqu’un qui parlait d’engagement, de changement social
dans les années 1980, c’était très compliqué, on passait rapidement pour
fou, pour des gens ignorant que tout ça était mort… L’offensive était très
violente dans les années 1980, sous la plume d’un Pascal Bruckner par
exemple. Nous, nous avions travaillé une critique de l’idéologie des
Droits de l’Homme, de l’Humanitarisme, avec Gus Massiah, Fabienne
Messica
J’ai écrit un livre qui s’appelle Utopie et Liberté sur la critique des Droits
de l’Homme parce que c’était le début de la construction de l’individu en
puissance, disciplinaire. La publicité même de Médecins sans frontières à
l’époque était « Accompagnez-nous jusqu’à la frontière ». En résumé, tu
donnais des sous et les techniciens s’occupaient de la chose. On passait
de la « res publique » à la « res technique ».
On a assisté à la construction de cet Homme d’aujourd’hui qui dit :
« mais qu’est-ce que j’en sais des OGM ? ! Qu’est-ce que j’en sais des gaz
de schistes, qu’est-ce que j’en sais ? ».
« Ce sont les techniciens qui doivent savoir. Ce n’est même pas mon
élu. Ce n’est même pas le député, ce sont les techniciens. »
Donc là il y a eu une offensive presque darwinienne de la puissance
technique contre les puissances et les formes de culture et contre les
formes du vivant. Il y a vraiment eu une poussée de la technique et de
l’économie, l’économie incluse dans la technique, sous l’impulsion des
nouveaux philosophes et des postmodernes qui disaient : « on ne doit
plus rien faire ».
M. : Pour cette nouvelle radicalité, il y a quand même une date impor-
tante, c’est le 1er  janvier 1994, le zapatisme. Est-ce que cette date va
constituer un espoir qui se refermera à un moment donné parce que
l’altermondialisme va perdre un peu de sa vigueur ?
M. B. : Le 1er  janvier 1994, occupation de San Cristobal… On n’a pas su
tout de suite qui était Marcos. Quand on l’a su, assez rapidement à travers
Carmen Castillo10
, on a compris que Marcos allait être la figure visible de
quelque chose sur quoi nous étions en train de travailler depuis dix ans :
au Brésil avec les Sans-terre, ici avec les Sans-toit, en Italie avec les
Centres sociaux. Nous, ce que nous avons compris, c’est que tout cela
allait acquérir une visibilité nouvelle mais qu’il fallait prendre garde à ne
pas tomber, comme nous le disions à Marcos, dans une surexposition
médiatique.
Je me souviens d’une lettre que j’avais envoyée à Marcos qui a dû lui
faire l’effet d’un coup de pied au cul – une lettre donnée de main à main
par Carmen – c’était vraiment fraternel, mais je lui ai écrit : « Marcos, il
faut qu’on discute, ne soyons pas dupes de la poussée, essayons d’ana-
lyser vraiment en intensivité ce qu’il s’agit de faire aujourd’hui parce que,
tu vois, les Indiens sans terre, les paysans sans terre et les nouveaux mou-
vements, ici cela fait dix ans qu’on est en train de travailler aussi de notre
côté sur de nouveaux paradigmes ».
Marcos a donc donné une visibilité à l’hypothèse « changer la société
sans prendre le pouvoir », comme le dit de manière un peu simpliste John
Holloway, mais il s’est sans doute fait rattraper par l’une des formes de
pouvoir qui est la médiatisation. Nous, nous avions souvent discuté de ce
sujet, sur le fait qu’avoir les médias avec soi était un faux raccourci.
Marcos a donc choisi de se défendre des hélicoptères et de la vio-
lence réelle avec une sorte de paravent médiatique. On était à la fois très
contents, mais en même temps on a vu resurgir le tourisme révolution-
naire, la nouvelle Mecque…
M. : Est-ce que le zapatisme sonne le glas du « militant triste », figure sur
laquelle vous avez beaucoup écrit ?
M. B. : Absolument. Cela va réunir la joie avec l’agir, casser avec la
transcendance. Et pour nous en Amérique latine, c’est le moment du
grand changement qui est le retour de l’indigénisme qui constitue un
changement historique total. Il faut comprendre qu’avant, ce n’est pas
Marcos, c’est Rigoberta Menchu avec le Prix Nobel de la paix en 1992,
c’est la lutte des Sans-terre, c’est tout cela qui constitue les symboles du
renouveau militant.
Il y a eu un changement historique dans toute l’Amérique latine mar-
quant le retour de la dignité indienne. Avant un Indien était quelqu’un qui
avait honte d’être indien, la stérilisation de force des indiennes a continué
jusque dans les années 1990… Le retour de la dignité indienne en Amé-
rique latine, c’est une immense victoire.
Marx avait écrit des choses très dures sur les Indiens en les traitants de
feignants… Il y a des écrits dans lesquels il parle très mal des Indiens. Et
pour le Parti communiste, les Indiens étaient vus de la même manière…
Donc c’était un très grand changement.
L’autre grand changement en Amérique latine, c’est l’alternative qui se
développe avec une puissance énorme, c’est l’alternative Marcos. Celle-ci,
avec par exemple les Sans-terre, prenait en compte le problème des tran-
sitions, le problème écologique, le problème des paradigmes, des ques-
tions qui ici ne sont pensées que par des gens de la décroissance dont je
suis très proche. Mais ce mouvement va échouer à produire des nouvelles
formes de pouvoir et de gestion.
La conséquence de cet échec est l’émergence de progressistes partout.
Y compris Chavez, premier corollaire de l’échec, avec sa verboragie, sa
démagogie : plus il parle moins il fait. Chavez, c’est le plus ridicule, mais
c’est aussi le cas avec Cristina Kirchner chez nous, Lula au Brésil ou,
quand les socialistes étaient au pouvoir au Chili, Lugo. On peut aussi citer
Rafaël Correa en Équateur et même Evo Morales en Bolivie…
L’altermondialisme a commencé par une nouvelle radicalité. Il a été
noyauté et organisé par les « Stal », ils ont l’avantage de savoir organiser les
choses, contrairement à nous ! Et après, cela a fini dans une sorte d’appui à
tous les progressistes latino-américains, dans un agissement de continuité.
Mais il faut savoir que dans les Forum sociaux, par exemple à Porto
Alegre, les mouvements des Sans-terre, les Indiens, ont rapidement
campé dehors. Quand Chavez et Castro tentent une OPA sur l’altermon-
dialisme, la vérité c’est qu’il y a un côté contre nature, parce que l’alter-
mondialisme n’est pas né pour que des progressistes, productivistes qui
cherchent la croissance, viennent au pouvoir. Au contraire, il y avait une
critique de tout cela.
M. : Vous ne vous retrouvez plus dans l’altermondialisme ?
M. B. : l’OPA des vieux Stal de Chavez et Castro, c’est une aberration. Je
n’arrête pas depuis des années de travailler dans des laboratoires sociaux
en Italie, en Argentine, en France… Je travaille avec la coopérative ita-
lienne pour essayer de comprendre si le mouvement coopérativiste est
un pis-aller ou bien de comprendre s’il y a quelque chose là-dedans de
nouveau.
On cherche à savoir si avec le coopérativisme peuvent émerger des
structures réelles pour lesquelles on n’a pas besoin de conscience, parce
que c’est la vie. Je vais une fois par mois en Italie travailler avec la Coop
qui a huit millions de membres et qui est en train d’être gagnée par le
néolibéralisme. Elle m’appelle en me disant : « Miguel, fais une recherche
pour voir si la coopérative peut retrouver son âme ». Mais en quoi consiste
son âme ?
Ceux qui ne sont pas au front ont une responsabilité très grande de
produire les pratiques et les concepts qui alimentent ceux qui, en pre-
mière ligne, n’ont pas le temps de penser.
C’est dans cet esprit qu’une partie de la Coop me dit : « on va travail-
ler ensemble ». Pourquoi ? Parce qu’en Argentine, les usines occupées,
les hôtels occupés etc. sont devenus légalement des coopératives. C’est
comme ça que je travaille. Je me dis : mais qu’est-ce qu’il y a à attendre
de ça ? Mais qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? C’est très important parce que
l’être humain de la coopérative, ce n’est pas l’individu du néolibéralisme.
La question, c’est comment la coopérative peut viser une complexité
multidimensionnelle différente ?
L’une des choses fondamentales, c’est que le néolibéralisme a triom-
phé parce qu’il est plus proche de la vérité de ce que l’être humain repré-
sente, c’est-à-dire un ensemble complexe qui inclut l’irrationalité. Nous,
on doit dire : d’accord, cet être humain plus complexe qui inclut l’irra-
tionalité, quelle possibilité a-t-il de construire de la solidarité, de trouver
une nouvelle place dans les niches écologiques ? L’idée est de travailler et
de réfléchir sous une contrainte précise : tenir compte, non pas de l’être
humain normal, du marxisme, mais de l’être humain réel.
Cette personne qui a des désirs obscurs, qui ne sera jamais cartésienne,
donc ces chantiers-là, comme les chantiers coopératifs, sont des chan-
tiers dans lesquels se pose la question de savoir quels projets réels sont
viables pour cet être humain-là.
M. : On a vu que l’altermondialisme s’est divisé, s’est perdu. Pensez-vous
que la crise économique de 2008 va contribuer à faire resurgir cer-
taines utopies ? Est-ce que les mouvements comme Occupy, les Indignés,
comme aussi les mouvements coopératifs peuvent provoquer une étin-
celle pour revenir à l’origine, à cet espoir qu’avait suscité le zapatisme ?
M. B. : Quand il y a eu l’insurrection de 2001 en Argentine, ça faisait
tout de même quinze ans qu’il y avait un travail très long, réel. C’est pour-
quoi je considère qu’il faut être très humble avec l’Appel des appels, les
Indignés, Occuper Wall Street ! etc.
Il faut être humble et là, on pèche par un manque d’humilité en géné-
ral. Nous n’avons pas besoin d’un programme ni d’une coordination, nous
avons besoin de laboratoires réels, concrets dans la durée, qui arrivent à
comprendre deux ou trois choses.
Je ne dis pas qu’ils ont tort de faire ce qu’ils font. Mais sincèrement tout
ce qui existe, existe avec une raison suffisante. Rien ne nous arrive sur
le coin de la bouche par hasard, le nazisme n’arrive pas par un accident
malheureux. Sans vouloir vexer aucun copain, s’indigner participe de la
production de l’impuissance.
Je pense qu’il vaut mieux agir même avec un haut degré d’ignorance.
Qu’est-ce que tu fais ? Je ne sais pas trop, mais je vais de ce côté-là… Plu-
tôt que d’avoir une indignation globale pour l’ordre du monde.
L’ordre global du monde, c’est l’impensable total. Donc il vaut mieux
plus concrètement chercher à comprendre dans l’action. Et si par exemple
l’idée de solidarité était un pur imaginaire ? Pourquoi pas. Peut-être…
L’idée d’une justice sociale est un pur imaginaire… Donc il faut chercher
dans la réalité concrète. Nous sommes dans une sorte de pivot évolution-
naire dans lequel l’espèce humaine a connu des mutations fondamentales.
L’espèce humaine a fait un choix qui est toujours très casse-gueule pour
toute espèce, celui de rendre prioritaires les individus actuellement vivant
par rapport à la transmission. Donc notre espèce s’est dotée d’une série de
techniques qui sont des mutations, qui permettent une immédiateté d’in-
formations permanentes qui masque toute diachronie et toute complexité
et qui nous met dans le pur synchronique instantané. Cette mutation-là
donne beaucoup de puissance et enlève beaucoup de puissance à la fois.
Je pense qu’il faut quand même un tout petit peu résister à ce désir
de communiquer, de savoir, de s’informer… qu’il faut un peu chercher à
comprendre cette grande mutation : comment va-t-on faire pour préser-
ver la vie ? C’est plus complexe que de s’indigner.
M. : Ne partagez-vous pas l’indignation d’un Stéphane Hessel ?
M. B. : Si, je partage l’esprit. J’ai eu la chance que Stéphane Hessel fasse
la préface du livre que nous avons fait avec Angélique (Del Rey) sur le
Réseau éducation sans frontières, nous avons connu un grand homme.
Mais je ne parle pas de Stéphane Hessel qui a fait tout ce qu’il faut faire
dans la vie. Je pense à ce que nous, qui ne sommes pas lui, devons faire.
M. : L’expérimentation ?
M. B : Oui l’expérimentation, qui diffère de la position de regarder le
monde et dire « je m’indigne ». Stéphane Hessel, c’est Stéphane Hessel.
Nous, nous sommes absolument immergés dans le monde et ce qu’on
doit essayer de comprendre dans la pratique, pas que théoriquement,
c’est : quelles sont les voies de résistance à la destruction de la vie ? Parce
que c’est ce qui est en train de se passer.
Les mutations actuelles de l’espèce humaine entraînent une mutation
de tout le champ du vivant et mettent en danger la sauvegarde de l’es-
pèce. Il y a des combinatoires autonomes : l’économicisme, la technos-
cience… qui sont en train – darwinistiquement – d’entrer en concurrence,
en rivalité avec des espèces vivantes.
On ne peut pas dire : la technique doit être au service de l’être humain.
Ce n’est pas vrai. Il faut comprendre que l’être humain de la modernité
est « détissé ». Ce qu’on attend de voir, c’est quelles seront les nouvelles
formes d’auto-organisation de la vie.
Comme disait Deleuze à la fin du livre sur Foucault : « On a connu
l’époque de Dieu, on a connu l’époque de l’Homme, espérons que la pro-
chaine ne sera pas pire ». Il faut comprendre ça. Ce que Ilya Prigogine et Isabelle Stengers appelaient  La Nouvelle alliance c’est cela : il faut être attentif à ce que sera la nouvelle bête.
Moi, je pense, comme Anna (Bednik) et d’autres avec elle, que la nou-
velle bête sera une bête qui aura en elle de l’humain, de la culture, de la
technique, de l’animalité. C’est quoi une bête ? C’est ce qui a une intério-
rité et une intentionnalité. C’était la divinité. Ce fut l’Homme. Aujourd’hui,
la nouvelle bête, ce sont soit les tendances ou les nouvelles stratégies
techniques ou économiques, soit des niches écologiques multiples et en
réseau qui développent des nouvelles formes de vie.
Cela veut dire : trouver des mécanismes d’autorégulation, se dire que
tout n’est pas possible. Autorégulation, c’est-à-dire régulation de la puis-
sance humaine. L’espèce humaine doit s’articuler de façon différente avec
la technique, avec la culture, les biotopes, etc., pour trouver une façon
de survivre.
Je pense que ce changement est très important. Aujourd’hui, on parle
de droits de la mer, de droits de la forêt, droits des animaux. C’est très
intéressant car ça montre que le sujet du droit n’est plus l’Homme.
Par exemple, avec Primo Levi, j’avais proposé de faire une réflexion
pour montrer qu’aujourd’hui, ce qu’on veut défendre dans les droits de
l’Homme ne peut plus se défendre depuis l’Homme, parce que l’Homme
n’est plus l’instance sacrée. L’instance sacrée triomphante aujourd’hui,
c’est l’argent et la technique. À nous alors de créer une instance sacrée
autre que cette bête.
Nous voyons que l’Homme n’est plus une instance sacrée parce qu’au-
jourd’hui on peut torturer ouvertement : tout le monde sait que Guanta-
namo existe. Moi, quand ils m’ont torturé, ils m’ont torturé dans le secret
total. Et quand j’ai dit ça en France, il fallait le prouver, car si j’étais tor-
turé, alors le gouvernement armé militaire pouvait être considéré comme
illégitime. Aujourd’hui dire : « il y a de la torture », ça ne veut plus rien
dire pour personne. Ça montre que la bête n’est plus l’être humain. Il y
a deux bêtes en concurrence : les écosystèmes articulés qui sont organi-
quement intégrés et la technoscience économique.

M. : Vous pensez que ça va pencher d’un côté ou de l’autre ? Sommes-
nous à une époque où cela peut se décider ?
M. B. : Le problème c’est qu’il faut vraiment avancer dans la compré-
hension théorique et pratique : qu’est-ce que la nouvelle bête qui résiste
organiquement à l’artefactualisation techno-économique ?
D’un côté, il y a l’artefactualisation techno-économique qui a déjà sa
forme, de l’autre côté, il y a des embryons de formes organiques nou-
velles. Ces formes organiques nouvelles – pour le dire comme ça – sont
des nouvelles articulations du vivant avec la culture, avec la technique,
avec l’histoire, avec l’écosystème.
Aujourd’hui, je vois les choses en ces termes. Ces nouvelles formes
organiques sont vraiment en lutte darwinienne pour l’espace avec les
formes de l’artefactualisation aujourd’hui dominante. Je ne suis absolu-
ment pas technophobe, je pense que la technique c’est une dimension
des nouvelles formes organiques émergentes. Si l’on regarde aujourd’hui
les jeunes qui résistent à cette horreur, ils sont absolument hybridés avec
la technique. C’est pour ça qu’il ne faut pas être technophobe, c’est une
connerie, mais le moment historique – dans le sens lourd, au-delà des
idéologies –, ce moment très concret dans lequel ce n’est pas la cartogra-
phie qui est en train de changer, mais la matérialité même des territoires,
cet anthropocène-là, comme on l’appelle, est un terrain de dispute entre
ces deux formes : une artefactuelle et l’autre organique intégrée.
M. : Pensez-vous que le politique puisse se saisir de cela ?
M. B. : Non, je pense que le politique doit être un élément de plus,
mais que toute tentative de remettre les formes politiques qui corres-
pondent au paradigme passé au centre est une pure tristesse anachro-
nique…
Lorsqu’on dit : « l’hôpital n’est pas au service de l’Homme, l’école n’est
pas au service de l’Homme, la circulation routière n’est pas au service de
l’Homme… », il faut comprendre cela. J’ai écrit un livre sur médecine et
biopouvoir où j’explique que bien entendu que ce n’est pas au service
de l’être humain, simplement maintenant il faut bien comprendre que la
dispute n’est pas de remettre ni Dieu ni l’Homme au centre mais de trou-
ver les formes organiques qui peuvent être en dispute contre les biopou-
voirs qui sont l’artefactualisation technico-économique. Ces formes-là ne
peuvent pas être classiquement politiques.
M. : Vous disiez que vous vous reconnaissiez ou que vous étiez proche
de la décroissance, pouvez-vous préciser ?
M. B. : Le problème avec la décroissance c’est que ce sont des don-
neurs de leçons…
Je suis très ami avec Serge Latouche, mais je suis aussi un homme du
tiers monde et me dire : « il ne faut pas désirer cet objet technique ou il
ne faut pas désirer la croissance », c’est un peu culotté.
Donc je pense que les préoccupations de la décroissance sont des
préoccupations d’autorégulation très importantes, mais la problématique
centrale est que l’écologie se doit d’assumer quelque chose qu’elle est à
mille lieues d’assumer : l’écologie ne peut pas être humaniste.
Comment dire aujourd’hui que tu n’es pas humaniste ? Ça veut dire que
tu es « Ben Laden » ou que tu es méchant ! Quand je dis avec des amis de
la décroissance que notre écologie ne met pas l’être humain au cœur du
système, ils peuvent le comprendre, il s’agit de ça. Notre écologie n’est
pas humaniste, pas plus qu’elle n’est déiste, notre écologie met au cœur
les écosystèmes. On va me dire : mais c’est toi qui parles là ? Bien sûr : la
parole est un élément de plus. L’écosystème n’appartient pas à l’Homme,
c’est l’écosystème qui parle.

Juste à lire et à laisser résoner en soi...




Témoignage 23/11/2013 à 17h09

Un an de « Manif pour tous » : athée, homo et maintenant débaptisé

Matthieu Foucher 
Septembre 2012, je reviens d’un long semestre dans la capitale Allemande, un tournant décisif dans ma vie. Berlin, mon échappatoire, cette ville où j’ai dû m’exiler pour enfin apprendre à m’aimer, là-bas, à l’abri des regards, en finir avec la haine de moi.
Je ne m’étendrai pas en détail sur mon parcours et ses douleurs, toutes ces années où j’ai pensé que mourir serait plus simple que d’assumer ce que j’étais, ces deux dépressions camouflées, l’alcool et les drogues, et quelques comportements que d’aucun jugeront extrêmes.
Making of
Ce texte vient clore une « trilogie » d’une année de « Manif pour tous » lancée par Koz, blogueur de droite et catholique (« Tout le monde déteste les cathos comme vous »), auquel a répondu un blogueur de gauche catholique (« Eh bien moi, catho, j’ai mal vécu cette année de “Manif pour tous” »).
Mathieu, athé et homosexuel, a rompu avec cette église de manière radicale après cette année de mobilisation « anti-mariage gay ». Il s’est fait débaptiser. Blandine Grosjean
Mais je peux dire qu’il a été long, le chemin de l’acceptation. Il m’en aura fallu du temps pour marcher enfin la tête haute, ne plus ciller, ne plus me taire, comprendre ce que le mot fierté veut dire.
En septembre, me voilà de retour à Paris avec des souvenirs plein la tête, un amoureux Irlandais qui m’adore et la résolution de ne plus jamais mentir, même et surtout par omission.
J’apprends encore à l’époque (et je l’apprends toujours aujourd’hui) à construire et apprivoiser mon identité, je lutte encore un peu avec les étiquettes et les mauvais souvenirs mais je suis un peu plus heureux.
Je ne sais pas encore comme l’année scolaire (je suis encore étudiant) qui va suivre sera rude.

Facebook, le début de l’angoisse

Dès la toute fin de l’été, les débats sur le mariage commencent à pointer leur nez sur Facebook. Trois de mes cousins (un futur St-Cyrien, un étudiant en médecine envisageant actuellement la prêtrise et un étudiant à Science-Po) qui sont frères et catholiques pratiquants prennent position contre.
N’ayant qu’une patience limitée pour les gens qui parlent politique sur Facebook, je leur rentre dedans par principe (ils ne savent pas, à l’époque, que je suis homosexuel, peut-être ne le savent-ils toujours pas d’ailleurs). Les débats dégénèrent rapidement, je finis par les supprimer de mes amis, ne supportant pas leur acharnement sur le « mariage » gay (avec des guillemets, s’il vous plait), qui occupe de plus en plus de leur posts.
Lors d’une conversation privée, l’étudiant en médecine m’explique, interview de l’Abbé Grosjean à l’appui, que l’Eglise n’est pas homophobe (même si elle prétend que les homosexuels doivent s’abstenir et que l’homosexualité relève d’un désordre moral). Puis de m’envoyer vers le blog de Philippe Arino, avec ses thèses douteuses sur la violence de l’acte homosexuel et le « désir de viol ».
Au détour de cette discussion, mon cousin finit par m’avouer, gêné, « ne pas être un expert concernant le désir homosexuel ». Autrement dit il n’y connaît rien, n’a jamais vu un queer de sa vie. Au moins il en est vaguement conscient…
Il n’empêche qu’aujourd’hui nous ne nous parlons plus. Ni lui, ni aucun des deux autres.

Novembre : les premières manifs

Les débats sont durs, mais ce ne sont que des mots. A partir de novembre, l’impensable se produit : les gens transforment leur (bonne ?) parole en actes et partent en croisade dans la rue. Je suis choqué, mais pas surpris. Je pense que ça ne durera pas, attends que le mouvement se tasse.
Parmi eux, ma tante et marraine, avec ses deux aînés. Dont l’un, âgé de 16 ans, partage depuis quelques temps des vidéos d’Alain Soral sur Facebook, qualifiant les Femen de « putes ». Je m’interroge sur la teneur des débats, quand ils dînent dans leur pavillon de banlieue.
Retrouvant à Londres mon amoureux irlandais le temps d’un week-end, je loupe la manif de décembre (en soutien au mariage) et m’en veux.
Sur Facebook, les gens se dévoilent. Je réalise que d’anciens amis, des gens avec qui j’ai partagé des bons moments et suis même parti en vacances, n’apprécient pas « l’homofolie ». Ils se félicitent les uns les autres de « défendre la famille » et de « protéger les enfants ». Ils sont si arrogants et fiers, tellement sûrs de leur bon droit et de la supériorité de leur mode de vie.

A la « Manif pour tous », en novembre 2012 (Audrey Cerdan/Rue89)
Je ressens un profond dégoût quand je les vois se faire passer pour des martyrs, se croyant une minorité opprimée : ce sont de jeunes privilégiés et je connais leur façon de penser, je m’en rends mieux compte, à présent : j’ai longtemps été un des leurs, j’ai même grandi parmi eux ; au Vésinet (Yvelines) puis en école de commerce j’ai tout fait pour leur ressembler.
(Mal)heureusement j’étais pédé.
Je fais du tri dans mes contacts. J’ai la haine de ces gens qui prétendaient un jour m’aimer. Je me souviens de leurs petites blagues et mon passé me revient à la gueule, l’homophobie intégrée et le reste, quand moi aussi je pensais, comme eux, qu’être homo était ridicule, que c’était passable chez les autres, mais chez nous jamais, quand même pas ! C’est qu’on a des valeurs, enfin, une éducation, croyez bien.

Décembre : en finir avec les mensonges

C’est un sale moment à passer, une tâche injuste et harassante mais il va bien falloir s’y coller : annoncer à mes parents que je sors avec un garçon. Mes frères et sœurs sont au courant, il est temps de lever le voile complètement. Ce que je fais.
Leur réaction n’est pas affreuse, elle n’est pas dramatique ou violente. Elle est tout simplement frustrante. Ignorante. Pleine de bêtise et de préjugés.
Mon père me dit « tu t’engages sur une voie difficile ». J’aimerais pouvoir lui répondre que le plus gros du chemin est derrière et que je l’ai parcouru seul. Que les années noires sont passées et que maintenant c’est trop tard.
J’aimerais lui expliquer que ce n’est pas un choix et que je m’en serai même bien passé, lui dire que plutôt que d’être soucieux, il devrait être fier, ce con. Je ne le fais pas.
Il me demande si mes frères et sœurs sont au courant. Je lui réponds que oui. Ses phrases suivantes me donnent la gerbe tant elle sont bêtes et décevantes, peu dignes de quelqu’un comme lui :
« Tu n’aurais pas du faire ça. Et ton petit frère ? Il est encore jeune ! Tu imagines, et si ça l’influence ? Nous sommes ses parents, tu aurais du nous demander notre avis. »
Je voudrais lui répondre que si mon frère aime les garçons alors il a bien de la chance d’avoir un frangin tel que moi. Je ne le fais pas.
Ma mère elle semble plus préoccupée de savoir qui est au courant et surtout ce que ses amies en penseraient.
Je finis par raccrocher avec un sale nœud dans le ventre.
Peu de temps après, je me confie à ma grand-mère, une chrétienne comme on en fait plus. Je lui raconte ma honte de ne pas avoir osé lui dire, quelques mois auparavant, quand en plein débat sur le genre, elle m’avait demandé : « Tu en connais toi, des homosexuels ? » Je m’étais tu. J’avais tort.
Ma Manou comprend, j’ai l’impression, elle m’assure de son affection. Et même si elle reste convaincue que ce sont « des gens qu’il a rencontré sur une île en Grèce » qui ont rendu un de ses frères introverti, même si elle pense qu’être homosexuel rend les gens terriblement malheureux, je sens qu’elle est fière de moi. Et qu’elle changera bien d’avis. Sur le mariage et sur le reste.
Au diner de Noël, mon grand-père, de l’autre côté, enchaîne des crasses sur les pédés. Il ne sait pas. Je croise le regard de ma mère. Personne ne bronche. On change de sujet, et de cible : il balance une sale blague raciste et poursuit sur les immigrés. Crevure.

Janvier : la débaptisation, enfin

L’idée est là depuis plus de six mois mais, ces derniers temps, l’envie se fait sentir, de plus en plus forte. A partir d’octobre, je harcèle mes parents pour connaître la date de mon baptême, nécessaire pour faire acte d’apostasie.
Athée depuis mes 12 ans, je ne supporte plus que mon nom puisse être associé de quelques manières que ce soit à une institution violente et rétrograde qui oserait émettre un jugement sur ma vie amoureuse et sexuelle. Et qui semble, partout dans le monde, déployer tellement d’énergie à lutter contre mon bonheur, le bien-être des gens comme moi.
Voir le document
(Fichier PDF)
En janvier, je franchis le pas. J’écris à l’évêché de Versailles pour demander à ce qu’on mon nom soit rayé, mais laissé visible, des registres de l’Eglise, qu’y soit inscrite la mention suivante :
« A renié son baptême par lettre datée du 22 janvier 2013. »
Après un échange très cordial avec le chancelier du diocèse, qui m’explique les conséquences de ma démarche et demande une copie de ma pièce d’identité, me voilà enfin débaptisé. J’en ressens un grand soulagement. Moi, Matthieu Marie (mon prénom en entier), je ne veux plus jamais être de ces gens là.

Débaptisation : le papier officier, anonymisé

Ma manif, ma famille, ma joie

En janvier, alors que j’ai dormi quelques heures et suis en descente de MDMA, je vais militer pour mes droits. Ma première manif, MA manif. Je marche avec des gens comme moi mais aussi plein d’hétéros solidaires, dont deux amis que j’ai trainés ici, et des trans qui sont là pour nous. Je suis plein de reconnaissance, de joie d’être parmi les miens. Même les frasques d’une poignée de fachos n’arrivent pas à ruiner ce jour. Je me sens soulagé d’être là et de m’être levé malgré tout, je crois que si je l’avais loupée je l’aurais regretté toute ma vie.
Deux petites gouines se roulent des pelles, deux bears dansent et se donnent en spectacle, je sens ma gorge qui se noue. J’ai des larmes qui me montent aux yeux mais je les ravale tant bien que mal. Je ne veux pas que mes amis les voient, ne souhaite pas qu’ils voient mes fêlures, ma plaie béante est toujours là mais je l’ignore, comme d’habitude.
Alors je me concentre sur ma famille, ma grande et belle famille queer, profite de la magie du moment. Le temps est clément, aujourd’hui, le soleil éblouit mes yeux rougis par le manque de sommeil et illumine le ciel bleu. Si dieu existe il est avec nous.

Au printemps : l’overdose face à l’obsession

Les mois suivants, la mèche prend feu. Impossible d’y échapper : « mariage pour tous » à toutes les sauces, resservi à tous les repas. Si je suis convaincu que la cause LGBT a souvent manqué de visibilité, cette obsession soudaine me tue. La France, ou du moins une partie, découvre les pédés et les gouines qui semblaient planqués jusqu’alors, et se passionne pour le sujet (pour les trans, par contre, on repassera). Ma sexualité, ma vie amoureuse et mes chances de me marier se retrouvent dans toutes les bouches. On parle de nous en permanence, on nous prend à parti, c’est usant.
Une véritable indigestion. Car si les gens, pour ou contre, s’obsèdent maintenant pour cette question, aucun ne semble imaginer la douleur que ce débat provoque. Aucun n’a l’air d’avoir idée de la peine immense qu’on ressent. Voir des nuées défiler dans la rue et militer contre mes droits a quelque chose d’ahurissant, de suffoquant, de terrifiant et d’attristant.
On nous compare à des enfants, des monstres ou des animaux, rien que ça. Nous ne sommes plus des individus mais bien un « lobby », un complot, ce truc obscur et menaçant, parce qu’on ose demander du respect.

A Versailles, en mai 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
Un jour que sur le quai du métro à Boulogne, je me retrouve au milieu d’une horde rose et bleu, rentrant joyeusement de sa marche, je dévisage les jeunes enfants de ces familles bien habillées et me revois, quelques années plus tôt. Dans le lot, il y en a forcément… Les pauvres. Les pauvres gosses, putain. J’ai mal.
Alors je contemple les rails et une vieille idée me reprend. Je me souviens d’une époque où je me demandais « comment c’est, quand un wagon vous passe dessus : est-ce la loco qui enfonce le crâne ou les roues qui tordent les os ? ».
En avril, dans la même semaine, Wilfred de Bruijn se fait agresser et le Printemps fait des siennes. Il ne fait plus bon trainer la nuit, la tension monte, c’en devient flippant. Non pas que je craigne pour ma peau (je suis un « homo invisible ») mais Paris m’écœure violemment : je commence à frôler l’overdose.
L’overdose oui, face à l’obsession. Je voudrais juste qu’on en finisse, que la loi passe et qu’on tourne la page. Ce débat vire à l’affaire Dreyfus, la société française se divise. Ma famille illustre la fracture : la plupart des cousins ne se parlent plus, ils se sont scindés en deux clans : les catholiques d’un coté, les athées de l’autre, c’est aussi bête et caricatural que ça.
Mes parents au milieu se taisent, n’ont pas le moindre mot de soutien. « On ne parle pas de politique... »

La loi votée : une fête gâchée

Le 17 mai, la loi est votée. Ma grand-mère, innocemment, m’appelle, me demandant de mes nouvelles. Je ne tilte pas tout de suite mais crois saisir, quand j’ai raccroché, que c’est sa façon de fêter avec moi.
En fait, je ne réalise pas. Je ne suis même pas tellement joyeux. Ce qui devait être une joie me laisse un étrange goût amer, que je ne connais que trop bien. La fête est gâchée, exactement comme ce diner de Noël sali par un grand-père bourré. D’ailleurs, je n’ai personne avec qui célébrer : j’ai quitté le bel Irlandais. Qu’est ce que j’en ai à branler, du mariage, moi qui ne crois plus tellement en l’amour et doute même que les pédés y aient droit ?
Pour la gay pride, même scénario : personne pour venir avec moi. Ces hétéros que sont mes potes ne voient pas bien ce qu’ils foutraient là, aucun d’entre eux ne semble comprendre combien c’est important pour moi. Heureusement qu’un petit amoureux, un garçon rencontré en boîte, me prend gentiment sous son aile. C’est avec lui que je défile, jaloux de voir tous ses amis qui sont là mais quand même bien content d’être ici, malgré une descente lancinante (toujours de la MDMA).

En Hollande, je suis heureux d’être moi-même

Aujourd’hui, je suis reparti. Je ne dirai pas que c’est à cause de ça, j’avais des tas d’autres raisons sans doute, mais ça a sûrement joué un peu. Mon pays m’a soulé cette année, je n’aimais que peu Paris avant mais maintenant c’est encore pire : quelque chose est cassé. Il me faudra du temps pour revenir.
J’écris ce témoignage d’Amsterdam, c’est fou comme c’est différent ici : les « rainbow flags » sont quasiment partout et personne ne trouve rien à y redire. Les gens y vont à la gay pride en famille parce que c’est comme ça, tout bêtement.
On peut y dire qu’on est pédé sans passer pour un dégénéré. Juste un bonhomme comme les autres, avec son vécu, ses blessures… J’essaye de les panser d’ailleurs. J’écris beaucoup, ça me fait du bien. Mes bobos nourrissent mes histoires, que je rêve de voir publiées. Je continue de me construire et d’apprivoiser qui je suis (ça durera sûrement très longtemps), et découvre les joies de Grindr. Je suis heureux d’être moi-même et essaye d’accepter le passé, d’oublier les années volées
Mais cette année (2012-2013, toujours cette histoire d’année scolaire), je ne l’oublierai pas. Ni toi, marraine, ni vous, cousins. Ni tous les autres non plus, d’ailleurs.

mardi 19 novembre 2013

Le racisme de l'assiette


extraits
Le citoyen est devenu consommateur de la République : « Je ne veux pas que le prof soit bon, je veux qu’il mette 20 à mon gamin ; je ne veux pas que le juge soit juste, je veux qu’il fasse mal à celui qu’il m’a fait mal. Et le politique, je veux qu’il protège ma niche fiscale, mon statut, etc. »



« On dit à un député de droite que s’il soutient un projet de gauche même intelligent, il est un traître. On veut enfermer l’intelligence dans des frontières politiques. Pourquoi ne serions-nous tolérants qu’envers ceux qui ont la même carte de parti ? C’est du racisme politique.
J’ai toujours préféré travailler avec un type de gauche intelligent qu’avec un type de droite idiot. Je disais toujours : “Il faut que les types de droite soient plus intelligents que les types de gauche.” »
« Les hommes politiques sont tous dans la primaire, dans la conquête, dans le conflit des personnes. »

Médiateur de la République (2004-2011), il examine des milliers de réclamations et passe du temps avec des juges d’instruction et des assistantes sociales, témoins précieux de l’évolution du pays.
« La verticalité de notre système fait que les politiques ne parlent pas à ces gens-là, ils sont enfermés dans les cellules de pouvoir. »
 Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine.

« Racisme de l’assiette » 17/11/2013 à 11h17 sur le site de Rue89

Delevoye : « Il faut passer à une société de partage »


En 2011, il diagnostiquait une France prête à exploser. Aujourd’hui, le climat politique et social lui donne raison. Et Jean-Paul Delevoye vient de divorcer avec l’UMP.


Jean-Paul Delevoye au Conseil économique, social et environnemental (Cese), le 13 novembre 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
Trente ans après ses débuts en politique, Jean-Paul Delevoye se retrouve comme au premier jour, libre de tout parti. En choisissant de soutenir aux prochaines municipales le candidat socialiste plutôt que celui de sa « famille », le maire de Bapaume (Pas-de-Calais) depuis toujours a provoqué sa rupture avec l’UMP.
Un divorce dont ce « gaulliste social » de 66 ans parle, presque soulagé, déjà bien distant d’un parti qui ne ressemble plus à son bon vieux RPR, fier d’avancer à contre-courant des codes politiques qu’il exècre.
« J’ai toujours dit que j’avais un seul maître, l’intérêt général et qu’une seule ambition, servir mon territoire. Le seul leader naturel qui peut garder cette capacité de rassemblement est le député socialiste. C’est mon vice-président à l’intercommunalité depuis dix ans, on porte le même projet.
Le parti a sa stratégie, il a la conquête pour obsession. Je le comprends mais on est en divergence. Je n’ai ni amertume ni rancœur, j’ai toujours mis en harmonie mes convictions et mes actes. »

« C’est du racisme politique »

Un peu plus tard dans la conversation, il se fait plus incisif :
« On dit à un député de droite que s’il soutient un projet de gauche même intelligent, il est un traître. On veut enfermer l’intelligence dans des frontières politiques. Pourquoi ne serions-nous tolérants qu’envers ceux qui ont la même carte de parti ? C’est du racisme politique.
J’ai toujours préféré travailler avec un type de gauche intelligent qu’avec un type de droite idiot. Je disais toujours : “Il faut que les types de droite soient plus intelligents que les types de gauche.” »
C’est un discours que l’homme porte bien au-delà de sa situation personnelle. Depuis des années, Jean-Paul Delevoye diagnostique avec virulence la crise de la vie politique française. Sa position le lui permet ; l’époque où les caméras de télé guettaient ses faits et gestes est derrière.
Entre 2002 et 2004, il était le ministre de la Fonction publique de Raffarin, étiqueté « caution terroir », lui le colosse consensuel – 1,93 m – tellement chiraquien, qui n’a pas fait de la politique par vocation : pendant que d’autres préparaient leur carrière à l’ENA, lui dirigeait l’entreprise familiale d’agroalimentaire.
Président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) depuis 2010, cette institution qu’il définit comme « maison du temps long », il observe le jeu politicien avec recul.

Parler aux assistantes sociales

L’abstention grimpe, les partis se perdent en querelles de personnes, les médias se régalent à « fact-checker » les promesses non tenues et les déclarations mensongères et/ou contradictoires. La politique lasse, 70% des Français n’ont plus confiance dans les partis (sondage Cevipof 2013), Delevoye s’exaspère :
« Les hommes politiques sont tous dans la primaire, dans la conquête, dans le conflit des personnes. »
Malgré un parcours politique bien rempli – député, sénateur, président de l’Association des maires de France... – Jean-Paul Delevoye a attendu d’être sexagénaire pour découvrir en profondeur la société française.
Médiateur de la République (2004-2011), il examine des milliers de réclamations et passe du temps avec des juges d’instruction et des assistantes sociales, témoins précieux de l’évolution du pays.
« La verticalité de notre système fait que les politiques ne parlent pas à ces gens-là, ils sont enfermés dans les cellules de pouvoir. »

Le thermomètre Marine Le Pen

En 2011, son dernier rapport fait l’effet d’une bombe : il y fait le diagnostic terrible d’une France où plus rien ne va. Les humiliations s’entassent et l’implosion guette. Deux ans plus tard, Delevoye dit ne pas être surpris par l’état actuel du pays. Pas plus par les révoltes en série que par la montée du FN.
« Quand c’est la révolte des affamés ou des humiliés, comme ces Bonnets rouges, c’est beaucoup plus violent et imprévisible parce qu’elle n’est portée par aucune espérance alternative. [...]
Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine. »
Face à une situation de plus en plus complexe, l’ancien ministre, à la tête du Cese, réfléchit à des solutions, « ouvre des pistes de réflexion », plaide pour un choc culturel aux airs d’utopie : démocratie locale, refonte du système éducatif, « société de l’épanouissement »...
A 66 ans, il continue de changer d’avis : cet ancien cumulard se prononce contre le cumul des mandats, ce gaulliste invétéré se demande si la Ve République est le système idéal.
Mais l’écoute-t-on vraiment au sommet du pouvoir ? Le Cese est une vieille institution, bien souvent qualifiée d’inutile et de palais du copinage, où les citoyens n’ont pas l’habitude de mettre les pieds, de peur de salir les beaux tapis.
Jean-Paul Delevoye assure que tout ça est en train de changer, que c’est l’un des seuls endroits où « on fait parler entre eux des agriculteurs et des écologistes d’algues vertes et de pesticides ». Grand entretien.

Jean-Paul Delevoye au Cese le 13 novembre 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
  1. « Le citoyen est devenu consommateur de la République »
  2. « Nous vivons un moment politiquement très dangereux »
  3. « On va passer d’une société de la performance à la société de l’épanouissement »
Rue89 : Selon vous, les hommes politiques ne cherchent plus à convaincre mais à séduire.
Jean-Paul Delevoye : Ces dernières années, avec la fin des idéologies et les défaillances du libéralisme, les politiques obsédés par le pouvoir ont préféré gagner des électeurs même s’ils perdaient des citoyens.
La classe politique a délité les ressorts citoyens du vivre-ensemble. Dans toute la société, on observe la montée de l’individualisme, le rejet d’un projet collectif.
Le citoyen est devenu consommateur de la République : « Je ne veux pas que le prof soit bon, je veux qu’il mette 20 à mon gamin ; je ne veux pas que le juge soit juste, je veux qu’il fasse mal à celui qu’il m’a fait mal. Et le politique, je veux qu’il protège ma niche fiscale, mon statut, etc. »
Vous dites que c’est la victoire du court-termisme.
Le court-termisme s’aggrave, alors que pour construire des convictions, il faut du temps. La temporalité de la décision politique s’est considérablement raccourcie : le quinquennat, Internet... On veut tout tout de suite. Le politique est dans la posture, dans la gestion de l’émotion et nous sommes dans des démocraties d’émotion.
N’importe quel système peut être détruit en une poignée de seconde. Andersen avec Enron, plus belle boîte du monde, a été balayée en trois mois suite à un scandale. DSK a été irrémédiablement laminé par des vagues émotionnelles que plus personne ne maîtrise.
C’est la même chose au niveau économique : des stratégies de court-terme sont souvent prises mais préjudiciables à moyen terme. La force du capitalisme allemand, c’est l’appropriation familiale du capital, la proximité régionale de la caisse d’épargne et une proximité avec les élus régionaux.
Ce court-termisme a exacerbé le cynisme pour la conquête du pouvoir. Et aujourd’hui, la légitimité que vous acquérez par l’élection ne vous donne pas la légitimité pour décider pour tout, ce qui donne la prime aux minorités contestataires, aux systèmes souterrains et parallèles.
Les gens ne croient plus du tout au respect de la loi. Ils ne croient plus à la force du droit, ils revendiquent le droit à la force. Le faible a l’impression d’être écarté du système et la révolte du faible est une révolte violente.
Et l’abstention... Le maire de New York vient d’être élu avec 76% d’abstention.
Est-ce aussi un échec du système de formation politique : ENA et haute fonction publique ?
Ce n’est pas un mal que d’être formé mais désormais, on fait carrière politique. On démarre à 25 ans, on va dans un cabinet et la formation politique classique fait qu’on a priorisé la stratégie de carrière politique et non pas la confiance des citoyens.
La longueur de la carrière politique par rapport à une temporalité raccourcie entraîne une absence de rotation et ne permet pas une oxygénation du système. La classe politique n’est plus le reflet de la société. Il a fallu des lois comme la parité pour voir apparaître une nouvelle génération.
Le non-renouvellement politique est absolument pathétique. On ne donne pas la parole aux Français d’origine étrangère alors que le problème de l’immigration et de l’intégration est un sujet majeur. On a besoin de 50 millions de populations étrangères d’ici 2050 pour équilibrer la population active en Europe. Et ce qui me frappe, c’est que de plus en plus de députés expriment leur déception d’être députés.
Les différences entre l’offre de droite et l’offre de gauche se réduisent...
Les gens s’entendent pour le pouvoir mais pas sur des convictions. L’alternance a montré que quand on arrivait au pouvoir, on faisait l’inverse de ce qu’on disait dans l’opposition et quand on est dans l’opposition, on fait l’inverse de ce qu’on faisait dans la majorité.
L’augmentation des impôts, c’est Fillon qui l’a décidée, c’est Ayrault qui l’applique. Sur l’intervention au Mali, l’opposition demandait un débat parlementaire qu’elle aurait certainement condamné au temps de Sarkozy et la gauche devient interventionniste alors qu’elle est plutôt pacifiste.
On est à front renversé et l’opinion se dit que les politiques n’ont pas de convictions mais que des postures.
Comment expliquez-vous le succès du Front national ?
Dans le paysage politique aujourd’hui, l’offre la plus cohérente est celle du Front national. Il y a un leader, un parti, une organisation.
Au Front de Gauche, il pourrait y avoir une cohérence mais elle est compliquée par la diversité des leaders. Il pourrait aussi y avoir une cohérence sur le centre entre Bayrou et Borloo autour de l’Europe.
Mais c’est clair que les deux partis politiques les plus malades aujourd’hui par cette absence de cohérence, de leaders, de projets et par les conflits de personnes, c’est le Parti socialiste et l’UMP. Si ça se poursuit, on ne peut que prévoir l’éclatement du PS et de l’UMP, et une recomposition de l’offre politique basée autour de projets.
La vraie frontière n’est plus entre la droite et la gauche mais entre ceux qui croient à l’Europe et ceux qui n’y croient pas.
Marine Le Pen apparaît comme l’arme légale et politique pour renverser le système. J’ai toujours reproché à la classe politique républicaine d’avoir une attitude de culpabilisation presque judéo-chrétienne lorsqu’elle dit que c’est un péché de voter Marine Le Pen. On joue sur la « conscience » des bons électeurs.
Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine. Le vote FN n’est pas l’adhésion à un choix de société, on voit bien dans ses discours que ce n’est pas cohérent, mais c’est un outil intéressant pour dire merde » à la classe politique traditionnelle

le revenu d'existence

EXTRAITS

Au départ, l’idée d’un « revenu de base inconditionnel » découle d’un constat simple : à partir du moment où l’on considère la dignité de la vie humaine comme un droit, la société doit assurer à toute personne, de la naissance à la mort, le minimum pour préserver cette dignité. La rémunération du travail doit s’ajouter à cette première couche de revenu qui, de même que l’air qu’on respire, est indispensable à l’homme. L’argent ne doit plus être une préoccupation de survie.
Face au chômage de masse qui semble irréductible, l’instauration d’un revenu de base inconditionnel est aujourd’hui selon ses partisans plus que jamais nécessaire : elle éliminerait une fois pour toute la pauvreté dans nos nations qui n’ont jamais été aussi riches.


  • non seulement la pauvreté a disparu pendant cette période ;
  • mais le niveau d’éducation a grimpé (car les adolescents ont pu prolonger leurs études secondaires) ;
  • et le nombre d’hospitalisations a chuté, ce qu’elle attribue à la réduction des accidents et des problèmes de santé mentale.

Référendum 18/11/2013 à 18h17  Lu sur le site de RUE89

Le revenu d’existence européen cherche encore

Vous voulez faire adopter une loi en France ? Accrochez-vous. Si en 2008, sous Nicolas Sarkozy, le principe d’un référendum d’initiative partagée a été glissé dans la constitution, aucune loi organique ne l’encadre encore. La procédure est par ailleurs si lourde pour le déclencher (il faut convaincre 4,5 millions d’électeurs, 185 parlementaires...) qu’on risque d’attendre la Saint-Glinglin avant de voir une loi d’initiative populaire être adoptée en France.
Ce qui est moins connu, c’est qu’une procédure citoyenne est également possible au niveau de l’Union européenne. La procédure n’est pas tellement moins complexe qu’en France. Elle ne débouche pas sur un référendum mais au moins, le nombre de signatures à réunir n’est pas hors de portée : il en faut un million, avec un quota minimum dans sept pays.

Huit initiatives sont dans les tuyaux

Réunir un million de signatures n’est pas pour autant une garantie d’arriver à un texte de loi. La seule obligation de la Commission européenne, c’est de rencontrer les organisateurs de la pétition et d’étudier la réforme proposée. A la suite de quoi, la Commission « présentera éventuellement l’action qu’elle propose en réponse à l’initiative ». Eventuellement signifie qu’elle peut très bien les renvoyer dans les cordes.
Actuellement huit initiatives sont dans les tuyaux. L’une d’entre elle porte sur l’instauration dans l’union d’un revenu d’existence ou « revenu de base ».
Pour participer à l’initiative
Allez sur basicincome2013.eu, cliquez sur le drapeau de votre pays. Le formulaire est sécurisé.
Les organisateurs ont jusqu’au 14 janvier 2014 pour collecter leur million de signatures, ils en sont à seulement 140 000 faute, disent-ils, d’une grande médiatisation de leur projet. Ils ont commencé à chercher des signatures en avril.
Jusque-là, seuls deux pays ont atteint le quota : la Croatie et la Slovénie.

Le revenu de base éliminerait la pauvreté

Au départ, l’idée d’un « revenu de base inconditionnel » découle d’un constat simple : à partir du moment où l’on considère la dignité de la vie humaine comme un droit, la société doit assurer à toute personne, de la naissance à la mort, le minimum pour préserver cette dignité. La rémunération du travail doit s’ajouter à cette première couche de revenu qui, de même que l’air qu’on respire, est indispensable à l’homme. L’argent ne doit plus être une préoccupation de survie.
Face au chômage de masse qui semble irréductible, l’instauration d’un revenu de base inconditionnel est aujourd’hui selon ses partisans plus que jamais nécessaire : elle éliminerait une fois pour toute la pauvreté dans nos nations qui n’ont jamais été aussi riches.
Le revenu de base par ceux qui le défendent
Cela fait des années que des économistes, philosophes, politiciens réfléchissent à cette idée. Elle a été portée aussi bien par des marxistes que par des chrétiens ou des libéraux. En France, elle a été portée par la gauche utopique (Yoland Bresson, André Gortz...), par les écologistes (Daniel Cohn Bendit, Eva Joly...), par le Parti de gauche, mais aussi par quelques personnalités de droite comme Dominique de Villepin (qui a proposé un revenu d’existence de 850 euros) ou avant lui Christine Boutin.
En Suisse, où l’on n’est plus des néophytes en matière de référendum – pardon, de votation – une initiative similaire est sur les rails. Le 4 octobre dernier, plus de 125 000 signatures ont été déposées auprès de la Chancellerie fédérale à Bern. Pour l’occasion, une pluie de pièces a été déposée devant le siège du gouvernement.

Pluie de pièces le 4 octobre, à Bern (Capture)

Une expérience dans le Manitoba

Une expérience grandeur nature de « revenu de base » a été testée dans les années 70 à Dauphin, petite ville du Manitoba, au Canada. Une allocation, le « mincome » (contraction de « minimum income », revenu minimum) avait été distribuée à toute la population en dessous du seuil de pauvreté pendant quatre ans.
L’an dernier, une économiste de la santé, Evelyn Forget, s’est replongée dans les archives de cette période et a fait quelques découvertes intéressantes :
  • non seulement la pauvreté a disparu pendant cette période ;
  • mais le niveau d’éducation a grimpé (car les adolescents ont pu prolonger leurs études secondaires) ;
  • et le nombre d’hospitalisations a chuté, ce qu’elle attribue à la réduction des accidents et des problèmes de santé mentale.
« Avec un tel programme social, les valeurs de la communauté elles-même commencent à changer », commente-t-elle. Selon un économiste qui s’est penché sur le sujet, Wayne Simpson, cité par le New York Times, le « mincome » n’a pas non plus entraîné de désincitation au travail.

Les effets du revenu de base dans les têtes, d’après le Mouvement français pour un revenu de base (Capture)

lundi 18 novembre 2013

... et ceux qui n'en ont pas....

se culpabilisent... doivent faire face à d'autres soucis, matériels, de reconnaissance aussi

Comment créer un vase communiquant qui pourrait régler les problèmes des deux côtés ?

Ah.... c'est l'argent qui manque.... pour embaucher plus de personnes, alléger la charge pour les uns.... redonner de la dignité et de l'espoir, une projection dans l'avenir, pour les autres...

mais cet argent, on en dépense des sommes astronomiques pour soigner les uns et les autres, pour donner le peu de moyens indispensables pour juste vivoter, rendre encore plus mouton, pour que la société y gagne sa bonne conscience.... pour encore nourrir davantage le serpent économique insatiable dont on parlait dans les cours d'éco de mon adolescence...

Ce serpent monétaire.... il se mord la queue.... depuis un certain temps !

quel est le politicien qui pourra entendre ce langage simple ? comprendre le processus dans lequel nous nous trouvons enfermés....
et commencer par lui-même à ne prendre dans ce monde que ce dont il a besoin.... vivre simplement pour que l'autre puisse simplement vivre.

trop de travail ....

la charge de travail est une folie pour bcp de gens en ce moment.. il y a qqchose à apprendre : absolument prendre du recul sinon il y aura de + en + de malades même si officiellement on ne veut/peut pas faire pas forcément la relation...

dimanche 17 novembre 2013

la "décolonisation des esprits" ... du chemin reste à parcourir....

extraits :

« Résister à l’air du temps présent »

De nombreuses interventions ont porté sur l’absence quasi totale de Frantz Fanon et d’autres auteurs noirs, français ou francophones, dans les programmes scolaires.

 Christiane Taubira est « venue se réchauffer », samedi soir au Théâtre du Tarmac

  Une jeune fille de 19 ans est intervenue pour demander pourquoi on ne lui avait jamais parlé de ces auteurs à l’école, alors, a-t-elle dit, ça l’aurait aidée « à se construire ».

Nous avons relu Fanon avec Taubira : « Les racistes sont déjà vaincus »

Pierre Haski | Cofondateur Rue89

Christiane Taubira au Théâtre Le Tarmac, à Paris le 16 novembre 2013 (Emile Lansmann via Facebook)
Christiane Taubira est « venue se réchauffer », samedi soir au Théâtre du Tarmac, auprès du public d’une journée consacrée à Frantz Fanon, le penseur de la « décolonisation des esprits » mort il y a bientôt 52 ans.
La garde des Sceaux a reçu une véritable ovation à son arrivée, de la part d’un public –- de tous âges et de toutes origines – heureux de lui montrer sa solidarité après les attaques racistes dont elle a été la cible, en résonance parfaite avec le thème de cette journée pourtant prévue de longue date.
Christiane Taubira a remercié le public parisien pour son accueil chaleureux « porteur de victoires ». Avant de parler longuement de Frantz Fanon, l’écrivain et psychiatre, dont, derrière une fausse modestie, elle a montré qu’elle connaissait parfaitement l’œuvre et sa portée, ayant lu dès l’adolescence son grand classique, « Peau noire, masques blancs ».
Christiane Taubira - Son numéro 1
Christiane Taubira n’a pas manqué de commenter les attaques racistes dont elle a été la cible, en puisant dans l’œuvre de Fanon, dont elle a rappelé l’engagement très jeune auprès des Forces françaises libres durant la Seconde Guerre mondiale, avant d’être renvoyé, à la fin du conflit, « à sa couleur, c’est-à-dire la mienne ».

« Ces gens-là n’ont pas d’imagination »

Et de rappeler que dans « Les Damnés de la terre », le dernier livre du psychiatre mort en 1961 d’une leucémie, Frantz Fanon relève que le racisme d’origine colonial puise dans un « vocabulaire zoologique ».
« Il a forcément recours au bestiaire, il évoque la réputation du jaune, les hordes, les grouillements... Il parle de ce vocabulaire qui a l’air de ressurgir. Ces gens-là, décidément, n’ont pas d’imagination. Voilà pourquoi ils sont déjà vaincus [Applaudissements].
Mais nous devons non seulement les vaincre, mais le leur faire savoir. Il faut qu’ils sachent qu’ils sont vaincus, du passé, déjà finis. dévitalisés, desséchés. Il faut que vous ailliez le leur faire savoir, ils sont vaincus. »
Christiane Taubira - Son numéro deux

Frantz Fanon
Né en 1925 à Fort-de-France, Frantz Fanon est mort en 1961 aux Etats-Unis où il était venu soigner sa leucémie. Engagé dans les Forces françaises libres pendant la Seconde Guerre mondiale, il devient ensuite psychiatre, et travaille à Blida, en Algérie, alors que débute la guerre d’indépendance.

Il s’engage auprès du FLN dont il devient même l’ambassadeur auprès de l’Afrique noire. Il produit une œuvre abondante dont les titres les plus connus sont « Peau noire, masques blancs » (1952), et « Les Damnés de la terre » (1961), préfacé par Jean-Paul Sartre.
Cette journée d’études sur Frantz Fanon avait été programmée parallèlement à la pièce de Jacques Allaire, « Les Damnés de la terre », inspirée de l’œuvre de Fanon, qui se joue jusqu’au 6 décembre au Tarmac, théâtre consacré aux cultures francophones.

Mais lors des trois débats de la journée (transparence : j’animais ces débats), la résonance de la crise actuelle, de la montée du racisme et des replis identitaires en France, étaient bien présents.
Fanon, « né antillais, mort algérien » selon la formule consacrée, avait tiré de son expérience psychiatrique à l’hôpital de Blida, puis, après sa rupture avec l’appareil colonial, à Tunis auprès du FLN dont il devint membre, l’idée que les séquelles du colonialisme ne s’arrêteraient pas avec la mort du colonialisme. Tant pour le colonisé que pour le colonisateur.
Nous sommes en plein dedans avec ce que l’écrivain Romuald Fonkua, originaire de La Martinique comme Fanon, a qualifié samedi soir de « régression de cinquante ans » et de « retour du colonial ». « Décoloniser l’esprit du colonisateur est plus compliqué », a-t-il souligné, redoutant « le pire » si la France n’y parvient pas.

« Résister à l’air du temps présent »

De nombreuses interventions ont porté sur l’absence quasi totale de Frantz Fanon et d’autres auteurs noirs, français ou francophones, dans les programmes scolaires. Une jeune fille de 19 ans est intervenue pour demander pourquoi on ne lui avait jamais parlé de ces auteurs à l’école, alors, a-t-elle dit, ça l’aurait aidée « à se construire ».
Egalement présente au débat, George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la Réussite éducative, a raconté que lorsqu’elle était conseillère générale d’Ile-de-France, l’Education nationale avait refusé que « Le Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire soit inscrit dans un concours scolaire... Elle a souligné que les choses changeaient lentement.
Mais une autre jeune fille dans le public a mis en garde contre l’idée selon laquelle l’éducation suffisait à combattre le racisme. Elle a raconté qu’à 18 ans, elle avait souffert du racisme pour la première fois, dans sa classe... d’hypokhâgne, auprès de jeunes auxquels on répétait à longueur de journée qu’ils étaient l’élite de la nation.
Mais le succès de cette journée Fanon au Tarmac, un pari audacieux avec un auteur qui jouit certes d’un statut élevé dans les milieux intellectuels mais est largement inconnu du grand public, montre que la « décolonisation des esprits » est une préoccupation vivante dans la société française du XXIe siècle.
Et comme l’écrit très bien dans son « Portrait » (éd. Seuil, 2011) du penseur disparu, Alice Cherki, une psychiatre et psychanalyste qui a travaillé avec Fanon à Blida et à Tunis, et qui témoignait samedi au colloque, la pensée de Frantz Fanon permet de « résister à l’air du temps présent ».

Bonus : Taubira, l’intégrale

En bonus, pour ceux qui le souhaitent, l’intégralité de l’intervention de Christiane Taubira.