dimanche 22 février 2015

Peur de manquer de quelque chose (l'épidémie de FOMO)

intéressant à lire

Grave épidémie de fomo

La maladie commence par un brutal accès de jalousie. Puis une boule dans la gorge. Elle descend dans l'estomac, noue vos entrailles. Vous vous sentez diminué, triste, inutile. Enfin, vous plongez dans l'abattement, irrité contre tout le monde et en particulier contre vous-même. 

C'est la nouvelle épidémie de « fomo ». 

On en parle sur Internet, avec une fiche Wikipédia consacré au « fomo » et des études de Harvard [1]. On en parle dans la presse anglophone [2]. On en parle dans Madame Figaro [3]. 

Peur de manquer quelque chose

Fomo vient de l'anglais « fear of missing out ». Cela veut dire en français « peur de manquer quelque chose ». 

Pas manquer de quelque chose. Manquer quelque chose, dans le sens de rater un événement, une invitation, une information. 

Le fomo est provoqué par la vie « complètement fabuleuse » des autres qui s'étale sur Facebook, Twitter, Instagram, les blogs et Internet, et qui contraste brutalement avec les frustrations, les souffrances, les échecs de votre propre vie. 

Exemple : 

Vous cuisinez tranquillement des pâtes chez vous. Déjà vous salivez sur ce comté que vous allez faire fondre dedans, avec une généreuse louche de bolognaise. 

Votre smartphone vibre. D'un œil, vous consultez votre écran Facebook. Trois de vos amis sont en train d'arriver à un concert. Sur la photo ils sont hilares, bras dessus, bras dessous, et manifestement fous de joie. Aussitôt, une autre photo apparaît : c'est Jacques et Marie-Odile qui viennent d'arriver dans un hôtel de rêve, en Malaisie. 

Vos pâtes et votre comté sont toujours là. Mais ils n'ont plus la même saveur. Vous vous demandez si vous avez fait le bon choix d'être rentré chez vous pour préparer à dîner. Pourquoi n'êtes-vous pas sorti ? Pourquoi n'avez-vous pas été invité ? Pourquoi les autres s'amusent-ils autant ? 

La maladie de la comparaison avec les autres

La personne malade de fomo juge son existence morne, sans intérêt, et ne peut s'empêcher de consulter fébrilement son smartphone pour suivre la vie des autres et comparer avec la sienne. 

Car les « autres » justement, semblent faire des efforts inouïs pour prouver en permanence que leur vie est géniale. 

La journaliste Valérie de Saint-Pierre parle dans Madame Figaro d'une « forme de surenchère » : 

« Il s’agit de livrer régulièrement à ses amis la version augmentée de sa petite existence. Cette dernière est donc dorénavant obligatoirement jalonnée, via des photos radieuses, de vacances inoubliables, de baisers sur la plage, d’enfants parfaits, de fêtes mémorables, de cadeaux insensés, de cupcakes inouïs, de chatons adorables, de spas de folie… selon les standards lifestyle de chacun. Tout en censurant pudiquement le reste, plus médiocre, évidemment. [4] »
Même si elle essaye elle aussi de publier sur Facebook des photos d'anniversaire où tout le monde rit aux éclats, la personne atteinte de fomo est convaincue qu'elle ne s'amuse pas autant que les autres, et elle en souffre. 

Comment Facebook a transformé notre civilisation

Qu'avons-nous fait de nos vies, depuis l'apparition de Facebook ? 

J'ai emmené mes enfants au départ en classe de neige. C'était au petit matin. Des cars étaient là. Je m'attendais à voir des centaines d'élèves surexcités et ravis de partir quelques jours. 

En réalité, c'était un silence de mort. La plupart des ados et des professeurs étaient assis dans les cars à tapoter sur leur téléphone, en train d'échanger des messages avec Dieu sait qui. 

Arthur C. Brooks, chroniqueur au New York Times, voit les choses comme ceci : nous passons désormais, pour les plus atteints d'entre nous, « la moitié de notre temps à faire semblant d'être plus heureux que nous le sommes, et l'autre moitié à regarder comme les autres semblent l'être bien plus que nous ». 

Selon le rapport World Travel Market, il ne s'écoule pas plus de dix minutes en moyenne, désormais, entre l'arrivée d'un client dans un hôtel de rêve et le moment où il poste une photo de lui-même (selfie) sur Internet, le but étant essentiellement de faire bisquer ses « amis » [5]. 

Comment faire face, comment résister ?

Comment faire face, comment résister ? 

Fermer son compte Facebook ? Se couper d'Internet ? Jeter smartphone et ordinateur à la poubelle ? 

Cela paraît extrême, pour ne pas dire absurde, surtout si vous gérez vous aussi la plupart de vos factures, comptes bancaires, réservations sur Internet, et si vous lisez Santé Nature Innovation ! 

Faut-il arrêter de se comparer ? Arrêter d'envier les autres ? Arrêter d'être triste et seul quand les autres s'amusent ? 

Mais ces sentiments ne se décident pas ! Ils vous tombent dessus et puis c'est tout ! Et plus on lutte contre eux, plus ils reviennent en force, comme les envies de chocolat. 

Faut-il exiger des autres qu'ils arrêtent d'enjoliver leur existence ? Qu'ils arrêtent de faire semblant d'être tout le temps heureux, d'aller de fête en fête, et de succès en réussites ? De nous envoyer constamment des images de leur bonheur à la figure ? 

C'est un peu ce que semble vouloir Véronique de Saint-Pierre, qui reproche aux gens de poster sur Facebook la photo de leur bébé chiot jack-russell récemment adopté « mais pas de son pipi sur le kilim », ou de leur famille souriante et unie lors d'une sortie mais « pas de l'engueulade collective dans la voiture en venant »… etc. 

Mais est-ce juste de vouloir ça ? Est-ce même vraiment ce que l'on souhaite ? 

En train de ramasser les crottes de chien

Imaginez un autre Facebook. Au lieu d'essayer d'enjoliver leur existence, les gens essaieraient de montrer leur vie telle qu'elle est. 

Votre page Facebook serait une succession de photos de vos amis : 

  • en pyjama au petit matin, avant d'avoir fait leur toilette, de s'être rasé ou maquillé
  • mangeant leur bol de Corn Flakes en écoutant France Inter dans une cuisine blafarde
  • se disputant avec leurs parents
  • en train de ramasser les crottes de leur chien avec un petit plastique
  • s'ennuyant dans une file d'attente à la poste
  • assis dans un bureau, avec une plante verte et des néons
  • poussant leur caddie sur un parking de supermarché
  • passant l'aspirateur dans leur appartement
  • conduisant sur une autoroute pluvieuse en rase campagne
  • perdu dans les rayons de Castorama à la recherche d'un rideau de douche au bon format
  • épluchant des pommes de terre
  • remplissant leur déclaration d'impôts.
Oui, nos vies sont principalement faites de choses triviales, répétitives, sans intérêt ni aventure. 

Oui, pour 5 semaines de vacances par an, il y a 47 semaines de métro-boulot-dodo. 

Pire encore, pour 40 ans de vie où nous sommes jeunes, beaux et en bonne santé (dans le meilleur des cas), il y en a 30, 40 ou 50 où ça ne va plus si bien que ça. 

Mais quel serait l'intérêt, expliquez-moi, de vouloir à tout prix étaler la monotonie de notre train-train quotidien sur Internet ? Sachant que, déjà, ce qui est publié est à 99 % sans intérêt, malgré le tri intense qui est fait par les intéressés pour essayer de publier des choses valorisantes ? 

Accepter le monde tel qu'il est

Je suis désolé, pour moi Facebook, les blogs, Instagram, c'est comme les albums photos qui existaient jadis dans nos familles : vous n'y colliez pas des photos sans intérêt, moches ou vulgaires. 

Il y avait le grand-père, en grand uniforme de la Première Guerre mondiale. Des photos de baptême, de communion, de mariage. Des photos de famille où tout le monde est bien habillé, bien peigné, et essaye de faire son plus beau sourire. Des photos de parties de campagnes, de vacances en tandem, à la mer ou au camping. 

Qu'auraient donné les mythiques séances de diapo de notre enfance si, au lieu de mettre les photos de vacances, on avait mis des séries sans fin de Papa à l'usine en train de visser des boulons ou de tondre le gazon ? 

Facebook n'est pas un moyen pour vous, ou pour les autres, de mettre sur la place publique votre vraie vie, vos sentiments profonds, vos échecs et vos douleurs. Ces choses là ne peuvent être partagées sur Facebook. Certains essayent mais ça ne marche pas. Cela donne souvent quelque chose de triste, parfois impudique. 

Les choses personnelles ne peuvent se confier que dans l'intimité, à votre meilleur ami, à votre compagne ou compagnon d'infortune, à vos petits-enfants pour qu'ils profitent de votre expérience. 

Facebook c'est pour s'amuser, se distraire, apprendre parfois un fait ou une info intéressante. Se tenir au courant, à peu près, de qui fait quoi. 

Mais imaginer que les gens postent leur vraie vie sur Facebook, c'est comme croire qu'on est ami avec PPDA parce qu'on le voit tous les soirs à 20 heures sur TF1. Ou que les actrices qui jouent dans « Downtown Abbey » sont aussi élégantes et bien habillées dans la vraie vie. 

Mais je suis sûr, cher lecteur, que vous n'êtes pas menacé par le « fomo ». Pourquoi ? Parce que vous avez lu cet article jusqu'ici et que cela prouve que vous êtes une personne qui aime se poser les bonnes questions. Je suis même convaincu que vous faites partie des « sages » dont la vie est bien organisée et bien remplie, et qui s'aperçoivent que la vie des autres n'a pas forcément à être enviée, bien au contraire. 

Cela fait donc déjà une maladie dont vous n'avez pas à vous soucier. Tant mieux, et bravo. Mais n'oubliez pas d'aider les autres ! 

À votre santé ! 

Jean-Marc Dupuis 

lundi 16 février 2015

CHARLIE HEBDO : pas moins, pas plus.

lu sur  "Rue 89" le 16-02-2015

Copenhague : désolé, je ne suis pas très 11 janvier

Arretsurimages.net"
Daniel Schneidermann | Fondateur d'@rrêt sur images

Désolé, je ne vais pas être très 11 janvier. Mais l’ambassadeur de France, que faisait-il, au juste, à ce débat de Copenhague, ensanglanté par cette terrible agression ? Avait-il demandé l’avis du Quai d’Orsay ? Cet avis a-t-il été donné ? Suivi ? Et sinon, que pense le gouvernement de sa présence, avec intervention inaugurale, à un débat organisé par le comité de soutien d’un dessinateur qui a dessiné Mahomet à tête de chien, et en présence de la Femen Inna, laquelle pense que le ramadan est « stupide », et que l’islam est « laid », comme nous l’avons rappelé dès samedi ?
Je m’explique. Qu’un dessinateur dessine Mahomet à tête de chien, s’il en a envie, cela ressort de la liberté d’expression. Je n’ai pas bien saisi la démarche artistique de Lars Vilks, ni de quelle manière, un an après l’affaire des caricatures de Mahomet, il est passé du mouvement suédois des chiens de rond-point, à la caricature de Mahomet. Mais ce n’est pas la question.
Qu’un journal le publie, s’il juge le dessin pertinent, concerne encore la liberté d’expression. Le 7 janvier nous a montré combien ces gestes étaient courageux, et devaient être protégés.

Protéger les irresponsables

Cela posé, il ne faut pas confondre les rôles. Que l’Etat protège ce dessinateur et ce journal, s’ils sont victimes de menaces, ressort de sa mission de protection de la liberté d’expression. Cette mission doit être assumée (de la même manière que doivent être protégées les synagogues et les mosquées, menacées par les deux crétinismes symétriques de l’antisémitisme et de l’islamophobie, et punis les profanateurs de cimetières, ça va de soi).

Bernard Cazeneuve et l’ambassadeur Francois Zimeray, à Copenhague le 15 février 2015 (ODD ANDERSEN/AFP)
Mais elle n’implique pas que l’Etat lui-même ou ses représentants s’expriment aux cotés des artistes ou des médias. Ce n’est pas à l’Etat, et à ses représentants, à venir s’exhiber auprès des dessinateurs, de manière à bien signifier aux dingues islamistes du monde entier que le Mahomet à tête de chien est devenu une spécialité française académique officielle et subventionnée, promue par les ambassades entre le cognac et le camembert.
Et puis après, quoi ? Une filière caricatures de Mahomet aux Beaux-Arts ? Un grand prix au Concours général ? Tout est aberrant, dans l’affaire de Copenhague. Que les amis de Vilks aient eu l’idée d’inviter un ambassadeur. Et que l’ambassadeur ait accepté. Le rôle de l’Etat, c’est de protéger ces irresponsables que sont, et doivent rester, les artistes. Pas de devenir lui-même irresponsable.

Ne pas faire le pas de trop

Les défenseurs de la laïcité, me semble-t-il, devraient bien comprendre ça : combien est précieuse la neutralité de l’Etat. Combien il est précieux qu’il assure la liberté d’expression, comme la liberté des cultes, et pour le reste, se taise. Frayant avec les dessinateurs, il sort de son rôle, de manière aussi incongrue, symétriquement, que lorsque le pouvoir chiraquien, en 2006, taxait Charlie Hebdo d’irresponsabilité pour avoir publié les caricatures de Mahomet.
Je sais bien que ce que je dis ici est subtil. Ne sera pas forcément compris. Je sais bien que chacun, faisant son devoir, a envie de franchir le pas supplémentaire : grimper sur la table, pour faire admirer au monde entier comme il fait son devoir, comme il tient son poste, ferme et courageux, et comme ce devoir est admirable.
Mais ce pas supplémentaire, c’est justement celui qu’il ne faut pas franchir. C’est le pas de trop. Et la gestion quotidienne de cette subtilité, c’est justement le cœur de métier des diplomates. Ils servent exactement à ça. A savoir où est le pas de trop, et à ne pas le franchir. Et surtout, à ne pas vendre à la criée Charlie Hebdo, qui doit redevenir ce qu’il était avant la tuerie. Pas moins. Pas plus. Je vous avais prévenus, je ne suis pas très 11 janvier.

DIE GEDANKEN SIND FREI - LA LIBERTE DE PENSER

CONCERT DU 8 FEVRIER 2015 AU ZENITH DE STRASBOURG

https://www.youtube.com/watch?v=-dv227riack

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mercredi 11 février 2015

l'Alsacitude, le clip

https://www.youtube.com/watch?v=yZWArTVr82w

l'Alsacitude, un peu de cigogne....

11 janvier : Il a manqué quelque chose ce jour là en France

Le Monde.fr | 11.02.2015 à 12h38 • Mis à jour le 11.02.2015 à 12h59

Par Monique Chemillier-Gendreau, Professeur émérite à l’Université Paris Diderot
Il est rare d’être soumis à des sentiments aussi contradictoires que ceux que l’on pouvait ressentir le 11 janvier dernier devant la force de ce qui se produisait dans l’espace public. Comment ne pas se laisser porter par l’élan qui entraînait une partie aussi importante de la population devant un événement tragique qui inspirait indignation et chagrin, mais aussi réunissait la foule dans ces sentiments ? Mais comment faire taire la petite voix qui a murmuré dès ce moment et de façon insistante que tout cela sonnait faux ? Alors il faut bien tenter d’exprimer le malaise et espérer retrouver ceux avec lesquels on avait cru à une connivence, mais sur un accord plus subtil, plus difficile aussi, moins euphorique, plus exigeant.
C’est qu’il n’y avait pas beaucoup d’autocritique dans l’unanimisme de ce dimanche historique. Toutes les personnalités politiques qui défilaient là, étaient des partisans convaincus de la démocratie, de la laïcité, de la liberté d’expression. Ces policiers que l’on applaudissait n’étaient tous que des héros au service du peuple et de sa sécurité. Ces braves gens qui gonflaient les cortèges à Paris et ailleurs n’étaient pas suspects de racisme, ni d’islamophobie. La France était seulement grande, comme elle l’avait été dans tous les moments forts de son histoire, en 1789, en 1848, en 1871, en mai 1968.
Analysons le malaise : il était considéré comme une évidence, pendant ces heures particulières comme depuis dans l’immense majorité des médias, qu’il y a « eux », des monstres qui pratiquent la terreur et « nous », braves gens qui défendons des valeurs indiscutables. Or la petite voix qui engendre le malaise ne nous dit pas cela. Elle nous rappelle que ces monstres sont sortis de nos flancs, que nous les avons fabriqués. Toutes nos prétendues valeurs sont en cause à travers le contexte dans lequel les auteurs de ces actes ont grandi. Cela n’a pas été dit et cela a manqué.
La liberté est au centre des évènements. Mais la démangeaison sécuritaire est là et elle menace les libertés. Comment éviter les erreurs accumulées par les Etats-Unis après le 11 septembre, alors que l’on a démontré depuis des années que l’on ne sait faire que de la répression guerrière ou policière et que la preuve a été établie en plus d’une décennie que l’on ne vaincra pas le djihadisme par là, bien au contraire ? Pour le moment, pour rassurer le peuple, on lui raconte que l’on va dans les prisons isoler les djihadistes dangereux des autres détenus. Mais on ne parle pas d’aller plus loin. On a donc oublié les rapports des grandes ONG, ou ceux du contrôleur des prisons ou ceux des commissions parlementaires qui ont tous décrit une situation générale qui relève de la barbarie quand ils n’ont pas employé l’expression directement. Comment une situation de barbarie pourrait-elle ne pas fabriquer des barbares ? Et pourquoi employer ce qualificatif à sens unique ? Ni la droite, ni la gauche n’ont modifié la situation. Elles l’ont aggravée, soumise l’une et l’autre à l’injonction du FN (contestée par tous les professionnels) en vertu de laquelle, les juges seraient trop laxistes et qu’il ne faudrait pas faire d’angélisme avec ces gens dont notre protection exige qu’on les enferme. Mais avant de tomber en prison, la plupart de ces jeunes hommes issus majoritairement de familles immigrées vivant en banlieue, ont grandi dans ce qu’on nomme les « quartiers », dans un environnement urbain inacceptable, sans perspective de formation, ni d’emploi. Et leur sort, différent de celui des jeunes de familles qui ne viennent pas de l’immigration, démontre que la République ne se soucie guère du principe d’égalité. Dès lors, isoler les djihadistes est à bien courte vue. La prison continuera de donner naissance à des centaines, des milliers de candidats potentiels au djihadisme. Cela n’a pas été dit et cela a manqué.
Pour ceux qui ont évité l’expérience carcérale mais qui vivent dans ces banlieues, où est la politique de la ville qui supprimerait ces ghettos dans lesquels naissent et grandissent la frustration et la haine ? Qu’a-t-on fait pour éviter la racialisation de la police dénoncée par Didier Fassin (« La force de l’ordre. Pour une anthropologie de la police des quartiers », Le Seuil, Paris, 2011) ? Fait-on semblant de ne pas savoir que chaque contrôle d’identité arbitraire (au faciès) engendre chez le jeune qui en est victime et qui doit refreiner son envie de résister, une blessure qui se transformera en pulsion de violence lorsque l’occasion viendra ? Le terreau est là. Cela n’a pas été dit et cela a manqué.
Sur les événements eux-mêmes, a-t-on pris soin d’expliquer suffisamment que le déroulé des faits et la nécessaire protection de la vie des otages ainsi que celle des forces de l’ordre, avait empêché que l’on essayât de capturer les auteurs des tueries vivants pour les soumettre à la justice ? A-t-on rappelé que la peine de mort a été supprimée dans notre pays, que de toute façon toute peine doit être l’aboutissement d’une procédure, que le droit à celle-ci est proclamé par les droits de l’homme ? Notre Ministre de l’Intérieur aurait été bien inspiré de rappeler que si ces principes n’avaient pas été appliqués, c’est que l’état de nécessité avait primé, mais qu’il ne s’agissait en aucun cas d’ouvrir la porte à la vengeance sans procès, à ces assassinats ciblés dont certaines grandes puissances se sont fait une spécialité. Il ne l’a pas dit et cela a manqué.
Certes le phénomène est international et cela a été mis en scène, comme pour se rassurer et se sentir moins seuls de savoir les autres menacés avec nous. Mais, faisant défiler ensemble le président palestinien et le premier ministre d’Israël, croit-on avoir zappé le conflit qui meurtrit le plus profondément les populations arabes dans le monde entier tant elles se sentent humiliées de la situation dans laquelle la communauté internationale a laissé le peuple de Palestine au mépris du droit international qu’elle proclame à tout va ? Par ailleurs les frilosités dans l’appui, pour ne pas dire l’absence d’appui aux mouvements qualifiés en 2011 de printemps arabes ont laissé entrevoir nos connivences profondes avec des dictateurs sanguinaires, celui de Tunisie, mais aussi ceux d’Égypte, de Libye, de Syrie. Rien de cela n’a été rappelé et cela a manqué.
Et ce n’est pas parce que les médias sont frappés d’amnésie lorsqu’ils parlent de l’Irak, que les populations qui ont des liens réels ou symboliques avec le Proche-Orient ont oublié les 12 années d’embargo, c’est-à-dire de descente en enfer, infligées au peuple irakien au nom des Nations unies, donc au nôtre, sous prétexte d’armes de destruction massive introuvables chez son dictateur. Et qu’on ne vienne pas me soupçonner par cette phrase de je ne sais quel regret de Saddam Hussein. Il était la peste, mais l’embargo a été le choléra et l’on a fait chuter le dictateur en détruisant le pays. La réaction guerrière de l’Amérique après le 11 septembre a contribué, tous les spécialistes le constatent, à la montée du Djihad dans la région où l’on prétendait avec une arrogance sans limites apporter la démocratie. Rien de cela n’a été dit et cela a manqué.
Et Nicolas Sarkozy, conseillé par un de nos philosophes, a tourné en dérision la « responsabilité de protéger », principe récemment affirmé par les Nations Unies, en obtenant en son nom un feu vert pour bombarder la Libye en compagnie des Anglais et sans grand risque. Et la Libye est tombée dans le chaos, comme la Somalie auparavant, pendant que les djihadistes du Sahel se servaient dans les arsenaux libyens désormais ouverts à tous. Mais Hollande a assuré le service après vente de ce que Nicolas Sarkozy avait fait. Il a mené au Nord Mali une opération militaire au profit d’un gouvernement impuissant. Opération d’urgence et de court terme, elle n’amène aucune solution aux problèmes de fond. Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, le retrait français laissera la situation aussi incertaine qu’elle l’était à l’arrivée de nos troupes. Il est plus vrai de dire qu’elle s’aggravera car aucune politique n’est entreprise pour arrêter le chaos libyen au nord, et l’horreur qui s’étend au Nigéria au sud. Si dans certains de ces cas, une réponse militaire risque de devenir indispensable, elle n’aura aucun sens ni aucun résultat si elle n’est pas accompagnée d’une réponse politique. Cela n’a pas été dit et cela a manqué.
Enfin, la carence la plus grave a sans doute été l’absence de main tendue au camp d’en face. Ce camp s’étend au-delà des tueurs. Il comprend tous ceux qui s’identifient aux auteurs des attentats, à ces « eux » que nous considérons comme des monstres. Les réactions des écoliers et des lycéens ne peuvent relever d’une politique grossière de sanction contre l’apologie du terrorisme. Pour séparer ceux qui sont malheureusement déjà perdus parce qu’engagés trop gravement dans une spirale de violence irréversible, de tous ceux qui peuvent en revenir ou qui n’y sont pas déjà tombés, il faut des paroles, des gestes, une politique d’empathie. Il faut donner du sens au principe de fraternité de la devise républicaine. Il ne s’agit pas de pardon, lequel comme la vengeance relève du religieux et non du politique. Il s’agit de continuer de faire lien, de ne pas s’approprier on ne sait quelle vertu, mais de partager la dure condition humaine qui est faite du mélange inextricable du bien et du mal. Le Maire d’Oslo après la tuerie d’Utoya avait déclaré : « Nous punirons le coupable. La punition sera plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie ». C’est sans doute cette parole là que nous n’avons pas entendue depuis le 7 janvier et qui a le plus manqué.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/11/11-janvier-il-a-manque-quelque-chose-ce-jour-la-en-france_4574299_3232.html#HZaUC8T6JKexLSqx.99

mercredi 4 février 2015

La peur de la différence et les titres "à tout-va"



VU DES ÉTATS-UNISStop djihadisme : méfiez-vous des gens qui ne mangent pas de baguette

Changer d'alimentation ou arrêter le sport peuvent être des signes de radicalisation : tel est le message délivré par le site du gouvernement français de prévention de la menace terroriste.
Lu dans "Courrier International" le 4-2-15

la peur de la différence....

... méfions-nous aussi des "informations" 
jetées en pâture à tout-va et qui ne font 
qu'attiser la méfiance et la rancoeur 
latente.

mardi 3 février 2015

Les nouveaux invisibles


Enquête sur les nouveaux invisibles: les épanouis
LE MONDE | 03.02.2015 à 17h44 • 
Pendant des années, l’Américain David Zweig a été invisible. Pour bien faire son travail, il devait disparaître : « J’étais fact-checkeur [ vérificateur des faits ] pour une revue. Personne ne lit un beau magazine en se disant “dis-donc, les faits ont été vraiment bien vérifiés !” Je ne devenais visible que lor­s­que je commettais une erreur. »
Cette expé­rience lui donne envie de se pencher sur ses semblables, sur lesquels il rédige un livre : InvisiblesThe Power of Anonymous Work in an Age of Relentless Self-Promotion ( Invisibles. Le pouvoir du travail anonyme à l’heure de l’autopromotion perpétuelle, Portfolio Hardcover, 256 pages).

Du technicien des guitares de Radiohead au logisticien qui conçoit la signalisation pour guider les passagers dans un des aéroports les plus fréquentés au monde, David Zweig se concentre sur des personnes très qualifiées, professionnellement indispen­sables, car elles endossent de grandes respon­sabilités, mais inconnues du public.
D’après lui, l’invisibilité peut même devenir un superpouvoir : « La notoriété est une forme de réalisation, mais la seule vraie source d’épanouissement, c’est l’immersion dans le travail. Ce qui est passionnant avec les invisibles, c’est qu’ils atteignent le succès précisément en s’en désintéressant. »
Une attitude antithétique à la culture ambiante
Un point de vue étonnant, d’autant plus à une époque où les réseaux sociaux nous incitent à briller et que le personal branding ( marketing de la personne ) est sur toutes les bouches. La question de la reconnaissance vit un regain d’intérêt, mais il s’agit d’une reconnaissance individualiste. « On ne se satisfait plus d’être un rouage dans un mécanisme qui fonctionne bien. On veut être celui qui fait bien fonctionner le mécanisme. Il y a cinquante ans, travailler chez Renault, faire partie d’un groupe important, suffisait à satisfaire le besoin de ­reconnaissance. Aujourd’hui, on exige de la reconnaissance pour la contribution indivi­duelle, et c’est plus compliqué », explique le sociologue Pierre Boisard.
Générée par de nouveaux modes de rémunération au mérite, et poussée par l’essor des réseaux sociaux, cette course à la reconnaissance individuelle est un trait de l’époque. « Ce besoin de reconnaissance est humain, il n’y a là rien de mal. L’attitude des invisibles est antithétique à la culture ambiante. D’ailleurs, elle suppose une certaine solidité », reconnaît M. Zweig. Car dans beaucoup de cas, l’invisibi­lité est source de souffrance.
Karine Aubry, coach certifiée, accompagne des hauts fonctionnaires de l’administration auxquels les acteurs politiques volent la vedette, à l’Assemblée comme sur les plateaux de télévision. « Le capital de motivation qui les conduit à exercer un métier au service d’une cause est très élevé. Certains sont frustrés de voir que leur travail n’est pas reconnu. Parfois, cette amertume dégénère en questionnement identitaire : ils se demandent si finalement ils servent vraiment à quelque chose. » La coach travaille alors sur les attentes de ses clients : si les invisibles épanouis sont des perles rares, on peut s’en inspirer.
« J’accompagne mes clients dans une forme de renoncement : faire mieux plutôt que faire plus. Nous sommes dans un paradigme de la course vers l’avant, mais ce n’est pas la voie vers l’épanouissement. » Car quand elle devient plus importante que tout le reste, la reconnaissance peut se transformer en piège. « On rentre alors dans un rapport de séduction permanent, et on finit par se plier aux désirs de l’entreprise, on vend n’importe quoi pour faire du chiffre. On accepte au nom de la reconnaissance quelque chose que notre sens moral refuse », explique Christophe Dejours.
Mais le psychiatre spécialisé dans les questions de souffrance au travail est catégorique : « Malgré ces pièges, rien de plus normal que d’attendre de la reconnaissance au travail. Penser pouvoir s’en affranchir est un leurre. Même les invisibles bénéficient d’une certaine forme de reconnaissance, s’ils sont épanouis. »
Bon pour l’ego
« Il faut s’autoriser à reconnaître soi-même la qualité du travail, décrypter les indices qui nous prouvent qu’il a été bien fait. Il faut se rendre compte que la reconnaissance n’est pas forcément verticale, mais vient aussi de ses pairs », suggère Christophe Laval, auteur de Plaidoyer pour la reconnaissance au travail ( VPHR, 2011 ). Pour le sociologue Pierre Boisard, donner trop d’importance à une forme individualiste de reconnaissance est une voie sans issue, d’autant qu’elle prend le pas sur la reconnaissance collective.
Or penser collectif est non seulement bon pour l’ego, mais aussi pour la qualité du travail. «Les personnes les plus utiles sont celles qui stimulent l’émulation interne. Comme dans un orchestre, ce qui fait le succès d’une organisation, ce sont moins les contributions particulières que l’harmonie de l’ensemble », rappelle M. Boisard. Une règle que la hiérarchie devrait toujours avoir à l’esprit, plutôt que se concentrer uniquement sur les personnes qui lèvent la main ou qui parlent le plus fort aux réunions.
C’est ce que suggère David Zweig aux managers et chefs d’entreprise : « Prenez du temps pour vous pencher sur le travail des salariés effacés, ou vous risquez de passer à côté d’éléments exceptionnels. »
(Semestriel Le Monde-Campus, novembre 2014).

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/emploi/article/2015/02/03/enquete-sur-les-nouveaux-invisibles-les-epanouis_4569130_1698637.html#4KevTbZH1sM06jM1.99

dimanche 1 février 2015

La haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour


http://www.mediapart.fr/journal/audio/la-haine-ne-saurait-avoir-lexcuse-de-lhumour-0

La haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour

J’ai pris le temps, et la liberté, de dactylographier une intervention d’Edwy Plenel sur France Culture le 22 Janvier, au sujet de l’attentat de Charlie Hebdo. Elle m’est apparue particulièrement mesurée et argumente avec brio mon opinions controversée au sujet de la liberté d’expression, dont ce journaliste a fait preuve d’une manière particulièrement pertinente face aux pouvoirs en place.
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Charles_peguy.jpgDepuis ce que nous avons vécu les 7, 8 et 9 Janvier, je me promène avec deux citations de Péguy, face à cet évènement qui à la fois nous révèle à nous-même et, je l’espère, nous réveillera dans un sursaut qui ne sera pas celui de la guerre des identités mais de l’exigence d’égalité. La première citation est la suivante :
« Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être du monde ils croient qu’ils sont de Dieu. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être d’un des partis de l’homme, ils croient qu’ils sont du parti de Dieu. Parce qu’ils ne sont pas de l’homme, ils croient qu’ils sont de Dieu. Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu. »
Evidemment, c’est à destination des terroristes et des idéologies criminelles délirantes qui ont armé leur bras. Péguy ajoutait : « Mais Jésus-Chris même a été de l’homme. » On pourrait dire, j’ajoute, autant de Moise ou de Mahomet.  C’était alors un philippique contre le parti dévot, de toutes les religions et des sectaires quels qu’ils soient. Il ajoutait « Il ne suffit point d’abaisser le temporel pour s’élever dans la catégorie de l’Eternel. Il ne suffit point d’abaisser le monde pour monter dans la catégorie de Dieu. Nul ne sera diminué pour que les autres paraissent plus grands.
Je me promène avec cette citation et je la lis devant toute sorte de public, de toute sorte d’origine, de croyance, de culture, dont nos compatriotes musulmans. Mais il y en a une autre plus délicate, de Péguy toujours, que je promène aussi. C’était à propos des caricatures de l’extrême droite, de l’action française à l’époque qui, par le prétexte de la caricature, diffusait la haine antisémite. Voici ce que Péguy écrivait qui doit nous alerter :
« […] on ne fonde, on ne refonde aucune culture sur la dérision et la dérision et le sarcasme et l’injure sont des barbaries. Ils sont même des barbarismes. On ne fonde, on ne refonde, on ne restaure, on ne restitue rien sur la dérision.»
C’est dans Notre Jeunesse, superbe livre de 1910 où il revendique son Dreyfusisme actif. Il y a là une question délicate que nous devons débattre. Nous défendons le droit à la caricature et nous avons raison. Nous défendons ce droit à l’excès, au trait mordant, ironique. Mais c’est une chose de défendre ce droit là, et autre chose de penser que tout l’espace public doit avoir comme norme la transgression. L’idée que tout pourrait se dire, tout pourrait se caricaturer, tout pourrait se moquer, tout pourrait s’insulter ou s’abaisser. Il y a là une vraie question, notamment  pour les enseignants, qui se retrouvent devant des lycéens, des collégiens qui parfois disent n’importe quoi dans une cour de récréation, ou sur les réseaux sociaux.
Comment enseigner à notre jeunesse le respect de l’autre, la simple civilité, l’interdit de l’insulte et de l’offense vis-à-vis de l’origine, de l’apparence ou de la croyance, si notre espace public, ses médias, ses politiques font avec complaisance la pédagogie inverse. Si, par exemple comme ce fut le cas dans les mois qui ont précédé les attentats de début Janvier, notre espace public est encombré de mises-en-scène islamophobes dénigrant nos compatriotes musulmans dans leur diversité d’origine, de culture ou de croyance ; Si nous laissons la place à une transgression irresponsable, destructrice de tout idéal solidaire, de toute république commune, de toute communauté nationale.
La proclamation de la liberté d’expression, cette défense, je le répète, du droit à la caricature, de ces excès ironiques ou moqueurs qui accompagnent légitimement la solidarité avec Charlie Hebdo, n’implique pas que notre vie publique doive s’abaisser et s’égarer dans la détestation d’une partie de notre peuple, je le répète, en raison de sa culture, de son origine, ou de sa religion. La haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour. Et pour se dire cela, il suffit de se reporter aux premières déclarations des droits de l’homme. La toute première, celle de 1789, article 4 :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
La seconde, celle de la constitution de l’an I, article 6:
« La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas au droit d’autrui. Elle a pour principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi. Sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »
Edwy_Plenel.jpgPour enseigner la civilité, pour enseigner le respect de l’autre, il faut aussi que dans notre espace public, et notamment médiatique, nous ne continuions pas sur cette dérive, qui a commencé hélas il y a plusieurs années, où la transgression sous prétexte de l’audience, sous prétexte de cet effet où l’on ose, soit la norme. Il faut nous respecter nous même, il nous faut donner l’exemple, ce qui ne veut pas dire, encore une fois, empêcher qu’il y ait un art de la transgression, mais qui est un art en soi. Ce n’est pas la norme du débat public. Le débat public c’est d’abord de respecter l’autre.
​Par EDWY PLENEL​

Le cannabis et Bob Marley

Bob Marley et la folle histoire du cannabis

Chère lectrice, cher lecteur, 

Quand on parle de santé naturelle, de plantes médicinales, vient toujours le moment où l’on vous demande votre avis sur le cannabis. 

Le cannabis est le nom latin d'une plante extrêmement banale, le chanvre

Le chanvre, plante de nos campagnes

Le chanvre est connu et utilisé par l'homme depuis sans doute plus de 10 000 ans pour faire des cordes, des tissus, de l'huile (les premiers moteurs diesel fonctionnaient à l'huile de chanvre ! [1]), manger les graines et plus récemment faire du papier (la première Bible de Gutenberg fut imprimée sur du papier de chanvre [2]). 

C'est une plante très fibreuse, originaire d'Asie, mais son utilité était si évidente qu'elle s'est vite répandue dans toutes les civilisations, des Chinois aux Romains en passant par les Egyptiens, la Mésopotamie, puis les Européens, les Arabes, le Mexique, puis le monde entier au XIXe siècle. 

Les graines de chanvre étant parfois consommées comme nourriture, on suppose que les gens s'aperçurent de ses effets psychotropes (modification de conscience). 

En effet, le chanvre contient des substances actives appelées « cannabinoïdes », dont le plus puissant est le tétrahydrocannabinol (THC), suivi du cannabidiol (CBD). 

Cannabis, marijuana, haschich

Cannabis, marijuana et haschich sont des noms qui se réfèrent à différentes parties de la plante : 

  • Le cannabis est la plante entière ; la teneur globale en THC (substance psychotrope) varie selon les espèces.
  • La marijuana, ce sont les fleurs femelles non fécondées du chanvre (ou cannabis) et séchées. La teneur en THC peut varier de 1 % à 20 %.
  • Le haschich est la résine du chanvre, raclée sur les feuilles et fleurs du sommet de la plante pour former une pâte brune. Elle est plus riche en THC (10 % à 30 %).
  • L'huile essentielle du chanvre peut être extraite grâce à des solvants. Elle est beaucoup plus riche en THC (80 %).
Il existe toutes sortes de moyens de consommer ces produits (en infusion, en vaporisation, sous forme de gâteau...) mais le plus courant est de les fumer, mélangés avec du tabac, ce qui s'appelle un « joint ». 

Cette pratique est illégale dans la plupart des pays pour un usage « récréatif ». Mais un nombre croissant de pays dépénalisent la possession de petites quantités de cannabis pour un usage personnel et autorisent l'usage thérapeutique du cannabis : Canada, Australie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande et une vingtaine d'Etats américains. 

Effets immédiat du cannabis

L'effet immédiat des cannabinoïdes est de diminuer la tension artérielle, musculaire, la coordination, provoquant une impression de flotter (être « high » ou « stone »), et diminuer la mémoire à court terme. 

Le cœur bat plus vite, les yeux rougissent, la bouche est sèche, l'appétit augmente. 

On parle donc d'une modification de l'état physique et psychique, qui explique le succès du chanvre dans les rites chamaniques et religieux (nous y reviendrons en détail)

Selon la quantité de THC et selon les individus, cet état peut être ressenti comme plus ou moins agréable, et plus ou moins violent. 

Si certains parlent d'une détente et d'une euphorie provoquées par le cannabis, 430 000 personnes se rendent chaque année aux urgences des hôpitaux aux Etats-Unis pour des crises comme des attaques de panique ou des bouffées délirantes provoquées par le cannabis [3]. 

À long terme : baisse du QI, échec scolaire, schizophrénie, suicide

À long terme, l'usage régulier du cannabis réduit le QI (Quotient Intellectuel) de 3 à 6 points chez l'adulte, et de 8 points chez ceux qui commencent à l'adolescence, selon une grande étude néozélandaise réalisée en 2012. L'attention, la mémoire et la vivacité intellectuelle sont perturbées, et ce de façon accentuée et persistante [4]. 

Ces résultats ont été confirmés par une étude qui vient de paraître dans The Lancet, et qui indique que les adolescents de moins de 17 ans qui fument du cannabis tous les jours ont 60 % plus de risques de ne pas terminer leurs études secondaires et de ne pas réussir l'examen final, par rapport à ceux qui n'ont jamais fumé. 

Bien plus grave encore, selon l'analyse, les fumeurs quotidiens de cannabis ont 7 fois plus de risques de commettre une tentative de suicide et 8 fois plus de risques de faire usage d'autres drogues plus tard dans leur vie [5]. 

Très inquiétant aussi, la consommation de cannabis est associée à une forte hausse du risque de schizophrénie, une grave maladie mentale [6]. 

Enfin, le cannabis fumé dégageant les mêmes toxines de combustion que le tabac (goudrons, monoxyde de carbone, radicaux libres...), il a les mêmes effets que celui-ci sur la hausse du risque cardiaque, de cancer du poumon, les dents jaunes, etc. 

Cannabis : un usage très ancien et répandu

L'historien grec Hérodote (450 av. J.-C.) raconte que les Scythes (une peuplade des bords de la mer Noire) dressaient de petites tentes de laine serrée où ils organisaient des bains de vapeur à partir de fleurs de chanvre brûlées dans un vase contenant des pierres rougies qui « entraînaient la confusion des participants », un effet qu'Hérodote n'avait pas l'air de trouver formidable. 

L'historien romain Pline l'Ancien témoigne lui aussi que les effets des graines de cannabis étaient connus : 

« Certains mangent les graines frites avec des sucreries. Les graines apportent une sensation de chaleur et si consommées en grandes quantités, affectent la tête en lui envoyant des vapeurs chaudes et toxiques. » 

La première interdiction date de 1378, lorsque l'émir Soudoun Sheikouni interdit la culture du chanvre en Égypte, à Joneima, et condamne ceux pris en train d'en consommer à avoir les dents arrachées. 

Mais en réalité, personne ne songea à créer une psychose autour du chanvre jusqu'au XXe siècle. 

Il y en avait partout, c'était indispensable pour les cordes, les tissus, le papier, et les enfants des paysans – qui tous avaient du chanvre dans leur jardin – ne semblaient pas particulièrement obsédés par l'envie d'en cueillir et d'aller en fumer en cachette au fond des bois. 

Effets thérapeutiques du cannabis : peu spectaculaires

D'un point de vue thérapeutique, on connaissait les effets du chanvre, qui n'ont rien de spectaculaire d'ailleurs. 

L'abbesse allemande Hildegarde de Bingen (1098-1179) en cultive dans le jardin du couvent, aux côtés d'autres simples. Elle préconise son usage pour combattre les nausées (anti-émétique) et contre les douleurs de l'estomac. Les personnes qui en consomment s'aperçoivent également que cela relaxe les muscles. 

Ces effets du cannabis (antinausée, antidouleur, relaxant) seront rappelés par un médecin irlandais au XIXe siècle, William Brooke O'Shaughnessy, et le cannabis continuera son petit bonhomme de chemin dans les pharmacies, y compris aux Etats-Unis où il fait partie de la pharmacopée officielle (substances reconnues et autorisées pour leur effet médicinal) jusqu'en 1936. 

Actuellement, l'engouement pour le cannabis (nous parlerons des causes plus loin) a déclenché de nombreuses tentatives de démontrer que c’était une extraordinaire plante médicinale. 

Fausses informations sur le cannabis

Certains sites peu fiables (par exemple Wikipédia) prétendent qu'il faudrait en donner aux enfants pour traiter le trouble du déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH), aux autistes, aux paraplégiques, aux parkinsoniens, aux cancéreux, aux malades atteints d’Alzheimer, en cas d'ulcère, de diarrhée, de migraine, de maladie auto-immune, aux dépressifs, aux schizophrènes, aux insomniaques, aux drogués même pour soigner la dépendance à la cocaïne. 

C'est totalement faux. Et quand Wikipédia recommande le cannabis en cas de schizophrénie et autres troubles mentaux, c'est criminel

On sait au contraire que l'usage de la marijuana à l'adolescence augmente le risque de psychose à l'âge adulte [7], en plus de provoquer une baisse temporaire des facultés cognitives [8]. 

Les véritables études scientifiques qui ont été réalisées n'ont fait que confirmer ce que Hildegarde de Bingen (et probablement les chamans des millénaires avant elle) savaient déjà : que le cannabis aide contre les nausées, stimule l'appétit, relaxe les muscles et a un certain effet antidouleur. 

Dans ce cadre, on pouvait supposer qu'il serait susceptible d’aider les patients traités par chimiothérapie contre le cancer (qui ont des nausées et des douleurs), les malades du sida (qui perdent l'appétit), les personnes ayant des tensions incontrôlables et douloureuses dans les muscles (épilepsie, sclérose en plaque, syndrome de Tourette (tics nerveux)). 

Et de fait, voici les conclusions des recherches scientifiques à l'heure actuelle. (la suite ci-dessous) 

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Suite de la lettre de ce jour : 

Conclusions des études scientifiques sur les effets thérapeutiques du cannabis

Les études scientifiques ont conclu aux effets thérapeutiques suivants, accompagnés cependant des effets indésirables mentionnés ci-dessus. C'est donc avec un médecin que le patient doit évaluer si le rapport risque/bénéfice est bon ou non : 

Cancer : Le cannabis est efficace contre les nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie dans le cadre du traitement du cancer [9]. 

Les études réalisées sur ce sujet n'ont pas porté sur du cannabis fumé, mais sur des gélules contenant 5 à 10 mg de THC (dronabinol-Marinol®) administré par voie orale, et légales pour cette indication au Canada. La pénétration du THC dans l'organisme est alors sensiblement la même qu'en fumant un joint, sans les inconvénients des toxines dégagées par la combustion (goudron, monoxyde de carbone...). 

L'efficacité du cannabis serait alors supérieure aux médicaments antinausée traditionnels maisinférieure à l'ondansétron, un nouveau type de médicament. Toutefois, les effets secondaires indésirables sont importants. Lors des études réalisées auprès de 1400 volontaires sous chimiothérapie (donc des personnes a priori favorables au traitement), 10 % ont abandonné le traitement en raison des effets indésirables : dépression, hallucinations, paranoïa, hypotension. 

Sida : Le cannabis est également efficace pour rendre l'appétit aux personnes malades du sida, et lutter contre la perte de poids provoquée par la maladie [10], mais toujours avec les mêmes effets secondaires. 

Douleurs : De vieilles études (datant de 1975) sur un petit nombre de patients cancéreux (41) indiquent que le cannabis pourrait être efficace contre les douleurs liées au cancer. Mais là encore, les patients se sont plaints d'effets indésirables importants. On a constaté que 10 mg et 20 mg de THC étaient respectivement aussi efficaces que des doses de 60 mg et 120 mg de codéine. À 10 mg, le produit était bien toléré par les sujets, tandis qu'à 20 mg il a causé de la somnolence, des étourdissements, de l'ataxie, une baisse de l'acuité visuelle et même une anxiété extrême chez 5 sujets [11]. 

Sclérose en plaques : les tremblements, les douleurs et la baisse de la mobilité provoquée par la sclérose en plaques peut être atténuée par le THC. Un traitement à vaporiser sous la langue est autorisé au Canada [12]. 

Mentionnons enfin des cas anecdotiques où des patients affirment être soulagés du glaucome (maladie des yeux) grâce au cannabis, celui-ci réduisant la pression oculaire. 

Comment le cannabis est devenu populaire

Nous avons donc dit que le cannabis n'a rien d'une plante merveilleuse sur le plan thérapeutique et que, en tant que drogue, elle n'a jamais été massivement convoitée par les adolescents et adultes en recherche de sensations et d'évasion, qui n'avaient pourtant qu'à tendre la main dans leur jardin pour en trouver. 

Certains poètes parisiens (Baudelaire) à la fin du XIXe siècle se servirent malgré tout du chanvre pour chercher l'inspiration et explorer les « paradis artificiels », mais il s'agissait d'un mouvement marginal et socialement élitiste. 

Comment le chanvre est-il ainsi passé si brutalement de plante banale au stade de plante mythique, le nouveau « fruit défendu », officiellement interdit dans la plupart des pays mais consommé régulièrement par 20 millions de personnes en Europe ? 

Tout bascule à la Jamaïque dans les années 1930

La Jamaïque est une île des Caraïbes qui servait de première étape dans la Traite des Noirs vers l’Amérique. S'y sont mélangés depuis cinq siècles des populations africaines (surtout Afrique de l'Ouest) et des Européens qui y ont apporté la Bible. D'innombrables églises chrétiennes issues du protestantisme s'y côtoient. 

L'esclavage ayant été aboli en 1838, la main-d'œuvre indienne (originaire d'Inde, non d'Amérique) afflue à la Jamaïque. Elle apporte avec elle les traditions de l’ashram indien telles que le régime végétarien, la méditation et surtout l'usage du chanvre – appelé dans cette tradition « Ganja », terme sanskrit – utilisé dans le cadre des rites religieux. 

La Ganja se répand rapidement dans toute la Jamaïque, bien au-delà de la communauté indienne, tandis que bouillonnent les mouvements prophétiques et révolutionnaires. 

Le mouvement rastafarien ou « rasta »

En 1924, un pasteur jamaïcain parti aux Etats-Unis, le Révérend James Morris Webb annonce aux Jamaïcains que la fin de l'esclavage un siècle plus tôt n'a été qu'une étape dans leur chemin de délivrance. 

Les descendants d'esclaves noirs doivent maintenant connaître un double mouvement de libération, la libération intérieure par une conversion spirituelle, la liberté politique en retournant en Afrique

Dans une interprétation originale de la Bible, il désigne l'Ethiopie comme la véritable « Terre Promise », qu'il appelle « Sion ». C'est là que doivent retourner les Afro-Américains, telles les « Douze tribus d'Israël » fuyant la nouvelle « Babylone » qu'est le monde occidental et ses institutions [13]. 

Et il fait la « prophétie » suivante : « Regardez vers l'Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance ». 

C'est la fondation du mouvement « rastafari » ou « rasta ». 

Le mouvement est profondément enraciné dans la Bible, les références chrétiennes et judaïques. Le rastafarien doit par exemple suivre certaines prescriptions bibliques, celles des Nazarites (dont faisait partie le célèbre Samson) : 

  • ne pas se couper les cheveux, ni la peau, ce qui entraîne l'apparition de « dreadlocks », de longues mèches de cheveux ;
  • ne pas boire d'alcool ;
  • suivre un régime végétarien strict.
Le rastafarien doit lire un chapitre de la Bible tous les matins. Il suit les Dix commandements. 

Il est polygame : le célèbre rasta Bob Marley (mort à 36 ans) reconnut 11 enfants, une autre star rastafarienne du reggae comme Denroy Morgan en eut 29. 

Mais s'y mêlent aussi les influences indiennes, et en particulier la Ganga (cannabis). Fumer de la Ganja est considéré comme un « sacrement » par les rastas. 

C'est un signe donné par Dieu (qu'ils appellent « Jah ») pour aider à leur conversion intérieure, augmenter leur grâce, les élever spirituellement. 

De faible ampleur au départ, le mouvement rastafari connaît une brutale expansion lorsque, en 1930, la prophétie du révérend James Morris Webbd « se réalise ». 

La prophétie rasta se réalise

En 1930 est couronné en Ethiopie un roi, Haïlé Sélassié Ier. Son nom signifie « Puissance de la Trinité ». Haïlé Sélassié prend pour emblème le Lion de Juda, emblème de la première Tribu d'Israël dans l'Ancien Testament. Il affirme descendre du Roi Salomon par la Reine de Saba. 

Pour Marcus Garvey, un rasta habitant à Harlem (New York), c'est un signe qui ne trompe pas : ce roi est le nouveau « Messie ». Il déclare qu'il descend aussi de Moïse et de Jésus, qui eux aussi d'ailleurs étaient noirs. 

Marcus Garvey est interné en 1938, mais son message est largement entendu à la Jamaïque où le Roi d'Ethiopie devient une véritable idole vénérée par les rastafaris comme l'incarnation de Dieu lui-même. À tel point que Haïlé Sélassié Ier décide de se rendre en Jamaïque en 1966. Et c'est là que tout bascule. 

La conversion de Bob Marley

Bob Marley, fils d'un Anglais du Sussex et d'une Jamaïcaine, est un chanteur talentueux et extrêmement attachant, qui connaît déjà une grande popularité à la Jamaïque lorsque le roi d'Ethiopie s'y rend en 1966. 

Il est marié à Rita Marley, une femme qui participe à un meeting autour du Roi d'Ethiopie. 

Et c'est là qu'elle affirme voir les stigmates du Christ (trous laissés dans ses mains et dans ses pieds par les clous de la croix) dans les mains du Roi. Bob Marley se convertit au rastafari. 

Parolier remarquable, il intègre à ses chansons les thèmes rastafaris, appelant à l'amour, la révolte des descendants d'esclaves, à la conversion spirituelle, à la gloire du Roi d'Ethiopie (appelé Lion de Juda), à la nostalgie de la terre de Sion, au départ de Babylone, à la lutte contre l'oppresseur (« I shot the Sheriff ») et bien sûr à la consommation de cannabis (Kaya, Easy Skanking), sacrement du mouvement rasta. 

Sa musique, le « reggae », est lente, chaloupée, inspirée du rocksteady, du ska, et du Rythm and blues. C'est une fusion d'influences africaines, européennes et américaines. Ses concerts sont de véritables cérémonies rituelles, dans lesquelles se mêlent les prophéties, les prières et les appels à la conversion et au combat (Get up, Stand up !), le cannabis créant l'union sacrée entre les musiciens (son groupe s'appelle les Wailers, c'est-à-dire les « gémisseurs », qui aspirent à se libérer de l'oppression) et le public. 

En 1973, le guitariste de blues anglais Eric Clapton venu à la Jamaïque découvre son talent. Il reprend l'année suivante sa chanson « I Shot the Sheriff », qui connaît instantanément le succès et fait la célébrité mondiale de Bob Marley. 

La vague du reggae en Occident est lancée. 

Les disques de Bob Marley se vendent à des millions d'exemplaires (200 millions à ce jour). Il fait des tournées mondiales, popularisant à grande échelle cette musique magique qu'est le reggae, qui donnera plus tard naissance au rap. 

En même temps qu'il découvre Bob Marley, le reggae et le rastafari, le grand public découvre le « joint » qui accompagne toujours les musiciens. On peut toutefois supposer que la signification politique et spirituelle du cannabis échappe totalement au grand public. 

Néanmoins, un véritable courant esthétique et spirituel au niveau mondial est créé. 

Bob Marley, les rastas, le reggae et le cannabis deviennent des symboles de la libération, du progrès social, du retour aux sources africaines de l'humanité, et d'une nouvelle spiritualité détachée des contraintes matérielles de l'Occident. 

Le mouvement connaîtra par la suite de profondes mutations, avec une place plus ou moins centrale accordée au cannabis, que l'on retrouve chez les rappeurs qui sont les « descendants » directs des rastas. 

Et de même que le reggae et le rap sont appréciés de centaines de millions d'auditeurs qui, sans forcément comprendre toutes les paroles, éprouvent un sentiment de communion avec les musiciens, des millions de personnes qui n'ont pas ou peu de connaissance des racines spirituelles du mouvement rastafari ont été familiarisées avec son « sacrement », le cannabis. 

Bob Marley meurt du cancer

Bob Marley mourut en 1981 à l'âge de 36 ans, non d'un cancer du poumon mais d'un cancer de la peau (mélanome) au gros orteil. 

En fait, ce mélanome lui avait été diagnostiqué en 1977. Les médecins lui avaient conseillé de se faire amputer l'orteil en urgence. Bob Marley refusa, le rastafari interdisant de se « couper » (voir plus haut). Le cancer se métastasa, Bob Marley avait cinq tumeurs en 1980 et mourut dans d'atroces souffrances en 1981, dans une clinique en Bavière, tandis que le Dr Issels, inventeur d'une thérapie alternative contre le cancer, tentait de le sauver [14]. 

Toute une controverse tourne évidemment autour du Dr Issels, mais j'aimerais savoir ce que proposent les polémistes et les censeurs comme thérapie conventionnelle efficace quand un patient a développé cinq tumeurs, dont une au cerveau... (la suite ci-dessous) 

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Suite de la lettre de ce jour : 

Bref, toujours est-il que Bob Marley reste dans le cœur de millions de fans le symbole absolu du reggae et du mouvement rasta. Il a sa statue de cire au musée de Mme Tussaud, à Londres, non loin de celle de la Reine Elizabeth, de Nelson Mandela et du Pape Jean-Paul II. 

Il est chevalier de l'Ordre du Mérite Jamaïcain. Et il a popularisé l'idée que consommer du cannabis est un acte de libération à la fois politique et spirituel (libération intérieure). 

La fiche Wikipédia de Bob Marley le décrit comme un « apôtre », un « prophète » [15], et le journal The New York Times écrit qu'il serait un jour considéré comme « un saint » [16]. 

C'est ainsi que le chanvre, autrefois aussi banal que l'ortie ou le pissenlit, est devenu aujourd'hui le fruit défendu par excellence. 

Et cela fait bien les affaires des descendants de Bob Marley... 

Bob Marley : 5e au classement Forbes des célébrités décédées les plus rentables

Bob Marley qui chantait contre le commerce et le capitalisme se retournerait dans sa tombe s'il savait l'exploitation éhontée qui est faite de son nom et de son image par ses descendants. 

Il est aujourd'hui devant John Lennon et Marilyn Monroe au classement Forbes des célébrités décédées les plus rentables, avec 17 millions de dollars en 2012 [17]. 

Mais ce n'est peut-être qu'un début. Le « Bob Marley Estate », la société qui gère les droits de ses héritiers sur son image, a annoncé la semaine dernière le lancement d'un mélange spécial de marijuana appelé « Marley Natural », qui sera vendu légalement dès l'année prochaine aux Etats-Unis. 

Le fond de capital-investissement Privateer Holdings, basé à Seattle, s'est allié à sa veuve et à ses enfants pour lancer la production et la distribution de masse d'une espèce prétendument traditionnelle de cannabis « jamaïcain » (en fait, le cannabis est originaire d'Asie) sous forme de lotions, de crèmes, et de feuilles [18]. 

À quoi il faut ajouter les T-Shirts Bob Marley, les casquettes, les porte-clés et les badges Bob Marley, les posters Bob Marley que les adolescents « révoltés » achètent dans les supermarchés, les casques, les montres et les Cds, plus la mode des dreadlocks qui a maintenant gagné les Japonais. 

Mais cette fois, avec son nom servant de fer de lance au mouvement international de légalisation du cannabis, on parle d'un marché global pesant des milliards de dollars. Qu'il l'ait voulu ou non, Bob Marley est donc devenu le cow-boy Marlboro de la marijuana. 

Si rien n'est fait, c'est certain, son nom ne sera bientôt plus que celui d'une multinationale cotée au Nasdaq. 

À votre santé ! 

Jean-Marc Dupuis