jeudi 24 mai 2018

Mohammad, ma mère et moi

Je n'ai pas (encore ?) lu le livre mais rien que de savoir qu'il existe me réjouit le coeur.

Au moment où Donald Trump accède au pouvoir, Benoit Cohen, cinéaste français installé aux États-Unis, apprend que sa mère s’apprête à héberger, dans l’hôtel particulier du 7e arrondissement où elle vit seule, Mohammad, un migrant afghan. Alors que Benoit Cohen s’insurge contre ce président raciste qui menace de fermer les frontières, il ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour sa mère qui, sans lui en avoir jamais soufflé mot, ouvre sa porte à un étranger. Il revient alors à Paris et rencontre Mohammad. Ce garçon qui, de déracinement en déracinement, a grandi, à l’instar des chats, sept fois plus vite qu’un jeune occidental, va lui confier son histoire. Entre Benoit, exilé volontaire, et Mohammad, réfugié malgré lui, une relation intense se noue, sous le regard de Marie-France, qui vient compléter cet improbable trio. Dans ce récit singulier, Benoit Cohen décrit, non sans humour, ce chemin exaltant et complexe qu’est la rencontre de l’autre et s’interroge sur ce que « donner » veut dire




C’est à l’occasion d’un coup de fil à sa mère que l’écrivain et réalisateur, Benoît Cohen apprend que celle-ci est sur le point d’héberger dans son hôtel particulier du 7e arrondissement, un jeune migrant afghan. Passé l’incrédulité, voire les craintes, Benoît Cohen, qui vit alors aux États-Unis, au moment où Donald Trump accède au pouvoir, se penche sur cette rencontre et décide d’en faire un livre. « Mohammad, ma mère et moi » (éditions Flammarion) raconte cette histoire presque improbable, à une époque où le repli sur soi est devenu la norme.
 « Au début, je me suis dit « elle est complètement folle » » explique en souriant l’écrivain. « On est une famille plutôt ouverte, plutôt généreuse mais là c’est vrai que ça a été un choc » dit-il.
Sa mère, se retrouvant toute seule dans sa grande maison suite au décès de son mari, avait décidé d’accueillir un migrant, après avoir écouté une émission de radio parlant de l’association Singa. Une association qui met en relation des réfugiés et des particuliers souhaitant les accueillir.

Au bout du compte, une histoire magnifique
« Au bout du compte c’est une histoire magnifique parce que ça montre que quand on passe outre ses appréhensions initiales, on peut vraiment faire des choses formidables » estime Benoît Cohen.
Même si les choses n’ont pas été simples au début puisque Mohammad « arrive en morceaux ». Il est malade les premiers jours et « sous le choc » : « Ma mère a compris que ce serait plus compliqué que simplement l’accueillir. Il allait falloir qu’elle s’occupe de lui comme d’un fils. Et c’est ce qu’elle a fait pendant ces deux ans (…) Ma mère a été une figure maternelle de substitution » analyse-t-il.
Mohammad, qui a été interprète pour l’armée française en Afghanistan, était en danger de mort dans son pays, quand les troupes françaises sont parties. L’ambassade de France, l’a fait attendre sept mois pour qu’il obtienne un visa. Ce qu’il n’a finalement jamais eu. Après avoir échappé à une tentative d’assassinat, il fuit son pays. En arrivant en France par ses propres moyens, il n’avait plus confiance en personne, suite à son histoire chaotique. « La seule personne en qui il a eu confiance pendant des années c’est ma mère (…) Le fait de restaurer cette confiance est essentiel et c’est ce que ma mère a fait de plus fort dans cette histoire » explique Benoît Cohen.
Aujourd’hui Mohammad fait des études à Sciences po, à force de détermination. « Il a découvert ce programme qui s’appelle « Wintegreat » qui a été créé par deux élèves de l’ESCP [l’École supérieure de commerce de Paris – NDLR], qui permet à des réfugiés de monter des projets (…) Ils lui ont mis un coach (…) et ils l’ont entraîné pendant 6 mois pour préparer ce concours. Et il a réussi contre toute attente » raconte le réalisateur.
À plus long terme, Mohammad souhaite, après avoir travaillé à l’ONU, revenir dans son pays où il veut avoir des responsabilités et agir sur l’éducation des petits Afghans.
En attendant, Benoît Cohen va réaliser un film de fiction sur cette histoire, qui a changé beaucoup de choses dans sa famille. Quant à la mère de l’écrivain, elle est en attente d’accueillir un nouveau migrant, chez elle. « Il faut comprendre que cela a apporté évidemment énormément à Mohammad. Mais elle aussi, cela lui a apporté incroyablement » conclut-il.
https://www.publicsenat.fr/article/societe/mohammad-ma-mere-et-moi-ou-le-recit-d-une-solidarite-au-quotidien-84714

mardi 15 mai 2018

Ne nous voilons pas la face...

Ma grand-mère portait un foulard dans son village quand elle sortait.... cela ne posait pas de problème
Nous les petits-enfants nous moquions gentiment d'elle.... et de son tablier indémodable

Il y a quelques années j'étais au Maroc, dans la montagne. J'ai fini par porter un chèche, il me protégeait de la poussière, du soleil

Si je devais habiter en Inde je n'aimerai pas qu'on m'oblige à montrer mon ventre....

Histoire de culture, de tolérance, de respect, d'envie de comprendre aussi. Les choses évoluent de part et d'autre, je veux le croire.

Ne nous voilons pas la face.

jeudi 10 mai 2018

A propos de l'histoire dramatique de NOEMIE



https://www.dna.fr/faits-divers/2018/05/10/nous-pouvons-tous-un-jour-etre-agaces-par-l-appel-de-trop

A propos de l'histoire dramatique de Noémie, jeune femme décédée après avoir été mal comprise par l'opératrice du SAMU à STRASBOURG.

J'ai des pensées pour la famille, c'est difficile pour les proches. Inadmissible.
La justice doit faire son travail, bien sûr ; les assurances existent pour compenser les drames...

Par contre, ne nous trompons pas de combat :

Qui de nous tous peut se targuer de n'avoir jamais été agacé, mal évalué, oublié quelque chose, ou absent à un moment crucial...?

Les conséquences ne nous appartiennent pas complètement ; d'autres facteurs rentrent en jeu, que ce soit pour le meilleur ou le pire ; il m'est déjà arrivé, à posteriori, de me dire que oui, je n'ai pas fait ce qu'il fallait mais heureusement qu'il n'y a pas eu de catastrophe ... ce n'est pas non plus uniquement grâce à moi, n'est ce pas ?

(je pense à l'institutrice qui a donné une crêpe à l'enfant allergique qui en est décédé ; à la dame chauffeur de bus d'enfants qui a passé sur le passage à niveau à l'arrivée du train... à l'enfant qui a échappé à la surveillance de sa grand-mère...)

Dans notre société, à force de déshumaniser, de vouloir rentabiliser à tous prix, ces épisodes doivent servir à nous réveiller, à faire mieux à l'avenir et surtout à réfléchir sur nous, chacun de nous pour détecter comment être plus vigilant : à mettre coûte que coûte l'humain au centre de toute chose, de décider à partir de ce noyau.

Quand le drame est irréversible, l'énergie déployée ne doit pas servir uniquement à fustiger et prouver la "faute" (reconnue juridiquement et certainement dans la conscience de l'opératrice) en se persuadant qu'on est "meilleur" dans tous les cas, mais être employée à apprendre, améliorer le système pour ceux qui sont aux commandes, faire mieux à l'avenir et cela nous concerne tous, dans tous les domaines et à tous niveaux, politiciens, chefs d'entreprise, dirigeants... mais aussi le citoyen, la mère de famille, l'enseignant, la caissière, le sportif, la femme de ménage, le journaliste, le jardinier, la directrice d'un EHPAD, l'assistante de vie, le musicien, l'écrivain... le grand-père.. nous avons tous une responsabilité intime qui peut même être décalée par rapport à la responsabilité reconnue dans la société.

PS l"humain au centre" englobe aussi de considérer les animaux, les végétaux, notre milieu de vie.




vendredi 4 mai 2018

DES SOEURS, FORTES ET LIBRES



Dans son premier long métrage documentaire en tournage jusqu’à l’automne prochain, Maxime Faure dresse le portrait de huit bonnes sœurs qui luttent au quotidien pour les droits des femmes. Des sœurs, fortes et libres, qui le bouleversent.
C’est en filmant ses petites sœurs dans les champs de maïs de leur Bretagne natale que Maxime Faure (28 ans) a vu naître sa vocation pour le documentaire. Lui qui rêva, enfant, de reprendre la ferme du voisin, renonça à devenir agriculteur à l’âge de 10 ans, lorsque partit pour l’abattoir sa vache préférée, jugée plus assez productive.
C’est à travers le portrait d’une jeune Ukrainienne, que Maxime Faure a fait parler de lui pour la première fois : Dana, étudiante en architecture dont il a fait le sujet d’Intranquille, documentaire de cinq minutes primé en 2016 au concours Infracourts de France TélévisionsDana figure aussi – avec la Française Pauline et l’Anglaise Felicia – dans la série de films courts Nous autres, qui marient joliment montages photographiques et témoignages sonores.
C’est à travers le portrait de huit femmes que Maxime Faure pourrait prochainement se faire connaître d’un plus large public. Huit femmes de conviction, membres d’une communauté catholique à Montréal, « héroïnes » de son premier long métrage documentaire, actuellement en tournage. Huit femmes, qui étaient dix quand il a fait leur connaissance et dont l’âge moyen est le triple du sien.
”J’ai chialé en voyant Sœur Simonne – tout le portrait de ma grand-mère Odette…”, Maxime Faure 
« Fin 2013, se souvient Maxime Faure, je travaille au Québec pour un organisme de théâtre participatif dont je filme les interventions, lorsqu’une travailleuse sociale attire mon attentionSoixante-dix ans, cheveux blancs, jean, baskets… lumineuse ! Une collègue me voit la regarder et me dit : “C’est une bonne sœur et elle est féministe.” Ni une ni deux, je vais la voir. On échange nos courriels. Elle s’appelle Nicole, assure la fonction d’économe dans sa communauté ignatienne (“In actione contemplativus”) et me donne rendez-vous chez elle, au quinzième étage d’une immense tour de béton du quartier gai” de Montréal, le 14 février 2014 – jour anniversaire de la mort de ma grand-mère ! » 
Un signe du destin, pour ce rejeton d’une famille dans laquelle les femmes ne manquaient pas de caractère. « Des protestantes, qui pratiquaient le culte avec une grande liberté. Ma mère s’est fait baptiser à l’âge de 45 ans. Je l’ai vue batailler contre le maire du fief catholique dans lequel nous vivions, pour créer la première école publique du village. Alors, quand sœur Nicole m’a donné rendez-vous le 14 février à 14 heures, j’y suis allé le cœur en liesse. Et j’ai chialé en voyant Sœur Simonne – tout le portrait de ma grand-mère Odette ! En voyant sa photo, ma mère n’en est pas revenue. »
“Sœur Nicole dit même ne pas vouloir de cérémonie religieuse après sa mort, si c’est un homme qui doit célébrer l’eucharistie”, Maxime Faure
Du caractère, elles en ont, ces femmes que Maxime Faure apprend à mieux connaître depuis plus de quatre ans. Engagées dans la vie civile, dans le travail comme en faveur de l’avortement, de la contraception, du droit des femmes jusqu’au sein de l’Eglise, dont elle n’acceptent pas qu’elle se conforme à un modèle patriarcal d’un autre temps. « Certaines vont toujours à la messe, explique le jeune réalisateur. D’autres refusent d’assister à des offices assurés par des hommes. Sœur Nicole dit même ne pas vouloir de cérémonie religieuse après sa mort, si c’est un homme qui doit célébrer l’eucharistie. »
Comment rester dans une institution sexiste, quand on a foi dans un principe d’égalité, s’interroge Maxime Faure. Les sœurs lui ont confié leur décision de ne plus accueillir de nouvelles vocations et d’accepter la disparition de leur communauté, conscientes des impasses et des insuffisances du combat qu’elles auront mené. « En 2030, annoncent-elles, on n’existera plus. Mais faire communauté peut passer par d’autres voies, comme le dit sœur Gisèle, pour qui l’Esprit Saint est assez créatif. »

Un film testament

Après les avoir côtoyées, les avoir questionnées, s’être lui-même interrogé, et avoir renforcé et affiné à leur contact son désir de film, Maxime Faure a commencé à tourner en août 2015. « Le deuxième jour, mon matériel sonore s’est révélé insuffisant. J’ai enfourché mon vélo et suis allé acheter un meilleur équipement. Rentrant du magasin, un voiture m’a chopé et traîné sur la route : double fracture. Tous les jours, je pleurais, pensant au film qui me filait entre les pattes. Mais j’ai passé du temps chez les sœurs, avec mon plâtre et mes béquilles, et cela nous a encore plus soudés. »
A quelque chose, malheur est bon. Bénéficiant du retard pris par son projet, c’est aujourd’hui pour France 2 (et sa case documentaire 25 nuances de docs) et Radio-Canada, que Maxime Faure tourne jusqu’à l’automne Debouttes, dont le titre emprunte à un mot québécois désignant la posture d’une femme debout, le poing levé. « Quand elles m’ont vu arriver avec ma petite caméra et mon petit micro, elles étaient loin d’imaginer dans quoi on s’embarquait. Maintenant que de grandes chaînes nous suivent, qu’une chef op’ m’a rejoint et que le film prend une autre dimension, elles mesurent ce qu’il pourrait induire comme effets sur la vie de leur communauté et laisser derrière elles, après qu’elles auront disparu. » Debouttesaurait ainsi valeur de testament, tout en exprimant le point de vue d’un jeune homme sur ces femmes dignes et fortes, qui pourraient être ses grands-mères.
http://www.telerama.fr/television/bonnes-soeurs-et-feministes-rencontre-avec-huit-femmes-debouttes,n5615602.php?utm_source=spotim&utm_medium=spotim_recirculation&spotim_referrer=recirculation

mardi 1 mai 2018

MUSICIENS DE RUE A STRASBOURG


https://www.rue89strasbourg.com/decouvrez-qui-sont-les-musiciens-de-rue-de-strasbourg-135494?utm_medium=push&utm_source=onesignal&utm_campaign=push-notification

Lui est musicien de rue depuis 40 ans, un autre joue une heure tous les jours devant la cathédrale. Compositeurs, musiciens roumains, fans de reggae, tous se partagent les rues passantes de Strasbourg, et particulièrement celles du centre-ville. Ces artistes racontent comment ils en sont venus à jouer dans la rue, comment ils vivent de leur métier, la concurrence depuis l’arrivée de musiciens venus des pays de l’Est et les rapports avec la police…

Brice Bauer, si ma cathédrale m’était jouée

Slalom entre deux touristes bedonnants et direction la cathédrale. Des accords effleurés par l’archet d’un violoncelle retentissent sur la place, et se mêlent aux bruits des passants, des cafés, d’un promeneur anglais en short à la recherche « de la boutique de glaces Amorino ».
Brice Bauer, 39 ans, visage exalté, semble faire corps avec son instrument. Puis à 15h exactement, après une heure de jeu, il repose son archet, après avoir interprété le fameux prélude de Bach. « Je refuse de jouer les morceaux que je les gens attendent. Ce morceau, c’est la seule concession que je fais, c’est bien pour terminer. Certains jouent l’Ave Maria toute la journée, parce que tout le monde connaît. Moi, j’ai composé des morceaux pour la Cathédrale et notamment une suite. Ça s’appelle éclats-scission, » raconte-t-il, un brin de fierté dans la voix. Pourquoi la cathédrale ? Parce que « le lieu est une scène parfaite et que je n’ai jamais réussi à jouer ailleurs. »
« Je gagne au moins un SMIC tous les mois »
Brice Bauer est musicien de rue professionnel. Un métier précaire, mais dont il parvient à vivre.
« Je gagne au moins l’équivalent d’un SMIC tous les mois. Mais la condition c’est d’être là une heure tous les jours de l’année. En moyenne, je gagne 50€ en une heure, mais ça peut aller jusque 120€ l’été. Lors du marché de Noël, c’étaient des mois à 3 000€. L’hiver, il faut prévoir un réchaud pour les mains, ce n’est pas toujours facile. »
Être musicien de rue et avoir de la reconnaissance, c’est pour l’artiste aux pulls et jean élimés loin d’être incompatible :
« Je ne veux pas que les gens croient que je fais la manche, je veux être reconnu comme un musicien, qui joue dans la rue. C’est une liberté que je prends et non une liberté que je m’impose. Quand je joue, c’est comme une méditation, je suis habité. En un an, il n’y a peut-être que cinq ou six jours où je ne joue pas. Quand c’est comme ça, c’est comme si quelque chose manquait, c’est devenu une nécessité. »
« Le travail du musicien de rue, c’est de faire s’arrêter les gens »
Pour Brice Bauer, le public, malgré lui, devient un acteur de son jeu :
« Le travail du musicien de rue, c’est de faire s’arrêter les gens, réussir à les capter et les faire rester. Parfois, ça se joue à trois fois rien. Je rate une note, ils ne l’entendent pas, mais ils partent parce qu’ils sentent qu’il y a quelque chose d’inconfortable en moi. »
Si le musicien est de formation classique, il n’a pour autant pas toujours suivi la voie académique :
« J’ai pris des cours avec un maître pendant dix ans, jusqu’à mes 17 ou 18 ans. Mais il n’y avait pas de règle comme au conservatoire, on pouvait jouer deux ou trois heures le même jour. Et puis, à un moment, quand j’ai eu 15 ans, je me suis même tourné vers la scène électronique. J’ai aussi joué deux ou trois ans avec Luc Arbogast, de The Voice. »
« Le style expérimental, les japonais l’apprécient »
Son style ? « Classique il est vrai, avec des résonnances de blues et de rock, et parfois contemporain. » Et de glisser avec l’œil du musicien qui connaît son public et sa ville : « le style expérimental, les japonais l’apprécient tout particulièrement ».
Mais il faut aussi composer avec la municipalité et la montée de la concurrence entre musiciens. « Il y a de plus en plus de musiciens des pays de l’Est. Ils ne respectent rien, jouent avec des amplis alors que c’est interdit, du matin jusqu’au soir, et toujours le même morceau à destination des touristes » décrit-il, agacé. Quand à la police, « elle me laisse tranquille, car quand je joue une heure devant la cathédrale, les musiciens roumains ne rappliquent pas, ça les arrange bien. »

« Romania ! »


Victor Stanescu est venu de Roumanie pour jouer de l’accordéon dans les rues de Strasbourg. (Photo Emilie Sizarols)
Rue des Hallebardes mardi 4 avril, peuplée par la foule et presque étouffante. Un accordéoniste affaissé ne joue que par intermittence, les yeux dans le vide. Tentative d’approche, un carnet à la main. Il prend peur. « Vous parlez français ? » « Romania, Romania » répond-t-il, affolé. Il sort sa carte d’identité, comme croyant à un contrôle de police. Face à la barrière de la langue, juste un nom à l’arrachée : Victor Stanescu.
À chacun son style…
Un autre musicien de rue, accordéon à la main, a choisi de jouer en déambulant entre les passants. Un moyen de contourner la règle des 20 minutes maximales de présence autorisée à un même endroit.

« Reggae men »

« Viens, assieds-toi là » fait Brendon Carey, en tapotant une veste posée sous les porches de la rue des Grandes-Arcades. Collier aux couleurs de la Jamaïque, barbe grise fournie, bière 1664 aux pieds, le guitariste affiche un sourire serein. De la poésie dans la voix, il défend sa philosophie de vie :
« La musique de rue, c’est la vie, c’est la culture du partage. Tu mesures l’ouverture des gens toute la journée, il n’y a pas de projection, c’est la spontanéité pure. »
La musique, il l’a apprise en Martinique, aux côtés de son père, alors chanteur dans un groupe. « À 13 ou 14 ans, je jouais déjà de manière professionnelle dans les bars » décrit-il, les yeux pétillants.
À Strasbourg depuis deux ans, il joue environ trois fois par semaine, plusieurs heures par jour, sous les arcades, « parce qu’il y a quelques arbres en face, et que l’ambiance ici me fait kiffer. » Avec Augustin, au cajon, il forme le groupe « Dynamic System ». Son comparse, plus effacé, cicatrice au visage, évoque évasivement sa vie : « J’ai fait la guerre et j’ai vu des balles passer, alors quand d’autres occupants de la rue viennent chercher la bagarre, je suis prêt ». Quant à la police, elle « vient parfois nous embêter quand nous dépassons les 20 minutes de jeu et que les voisins appellent, mais ça ne nous empêche pas de jouer. Après tout, ils ont choisi d’habiter une rue animée. » argue Brendon Carey, avec un grand sourire.

Loïc Connan au grand cœur

Ajustement du pied à la bonne hauteur, branchement du micro, frottement de mains. Plus que la sangle de guitare à enfiler et Loïc Connan -nom de scène « Pierre de Cœur »- est prêt à faire entendre place Kléber ses reprises de variété française. Guitare bleue flashy en main, bonhommie des traits et joues bien pleines, il ouvre la bouche pour entamer les premières notes, quand soudain une jeune fille surgit : « Vous connaissez la vie en rose ? La Bohème ? Je veux chanter ». Sourire jovial du musicien : « Je fais assez peu de reprises. Peut-être du Charles Gainsbourg ? » Le duo improvisé trouve vite son rythme. Et la mère d’Aurélie, 16 ans, en vacances à Strasbourg pour quelques jours, de s’extasier : « tu as biiiien chanté, tu étais à l’aise ? »
« La Ville a l’air assez tolérante envers les musiciens de rue »
Loïc n’en est qu’à sa deuxième prestation strasbourgeoise. « Je suis seulement là pour les vacances, mais je me suis dit que j’allais en profiter pour faire entendre ma musique. » Le jeune musicien est plutôt un habitué des concerts dans les bars, même si l’an dernier il a « fait le festival des arts de la rue à Grenoble ». La rue, c’est surtout pour lui « un bon moyen de tester ses compositions ». Et puis 30€ en 45 minutes à Strasbourg l’an dernier, ce n’est pas si mal.
Les avantages de Strasbourg ? « La Ville a l’air assez tolérante envers les musiciens de rue. Il y a des municipalités où c’est vraiment mal vu. J’ai un peu flippé quand j’ai vu des policiers passer tout à l’heure, mais ils m’ont laissé tranquille. » Fin de soirée pour le guitariste au grand cœur : scène ouverte aux « Savons d’Hélène », histoire de retrouver les salles sombres où il se produit d’habitude.
Jean-Luc Traber a 40 ans de pratique de musique dans la rue. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Jean-Luc Traber a 40 ans de pratique de musique dans la rue. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Jean-Luc Traber, musicien de rue depuis 40 ans

« Vous prenez une photo, c’est une petite pièce ». Visage renfrogné, son chihuahua et son boxer aux pieds, Jean-Luc Traber, 52 ans, joue rue des Hallebardes quelques accords de guitare jazz. Puis repose son instrument, et va faire la quête auprès des clients du restaurant situé en face de son « spot » temporaire. Une stratégie bien rôdée.
« Musicien de rue ? Ça fait 40 ans que je le suis. Je joue pour rencontrer des gens, mais c’est surtout une carte de visite, pour décrocher des contrats et jouer à des mariages, ou faire de petits concerts. »
Lui aussi se plaint de la concurrence des musiciens venus des pays de l’Est : « Certains jouent les deux mêmes morceaux toute la journée. Les gens en ont marre de voir un musicien tous les 50 mètres. Ils foutent en l’air notre métier. » Et de remballer son matériel, après avoir « gagné 40 ou 50€ en deux heures. »

PopCorde, rue des Grandes Arcades…Philippe, One Man Band


Étudiant grec, Philippe Kollias est à Strasbourg pour une licence de musiques actuelles (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
« J’ai 27 ans, mais ça fait déjà dix ans que je joue dans la rue. » Philippe Kollias hésite un peu sur les mots, avec un accent méditerranéen. Cet étudiant grec est arrivé à Strasbourg en septembre pour entamer une licence de musiques actuelles. Il joue aussi dans les bars ; en une heure dans la rue, il gagne « de 3€ à 60€ ».
Style qui détonne, avec son instrument, le « One Man Band », composé d’une guitare, d’une percussion accrochée dans son dos, d’un harmonica, et de sa voix. « L’avantage de la rue, c’est qu’il n’y a pas à s’organiser. Si tu as envie d’y aller, tu y vas, sinon tu restes chez toi », glisse l’étudiant.

Antoinette Cremona : « je suis musicienne, plasticienne, marionnettiste »

Antoinette Cremona, c’est d’abord une voix !
« Merci ma puce, tu ne veux pas plutôt me donner ta glace ? » Le sourire dans la voix d’Antoinette Cremona, alors qu’une petite fille blonde dépose une pièce dans sa housse de guitare. Grattement d’accords et la trentenaire entame « Insensé », sa « seule composition écrite en français, un coup de gueule contre les gouvernants qui pensent, sous prétexte qu’ils ont de l’argent, qu’ils sont les maîtres de nos vies. »
Rue des Grandes Arcades, les passants s’arrêtent, comme happés par cette voix puissante et le naturel chaleureux de la musicienne. Un homme dans la soixantaine, veste de costume mal ajustée et béret s’immisce dans sa chanson. Un jeu théâtral s’installe : « quand tu me tiens dans… » / « tes braaaaaas » finit le passant, alors que le rire des deux protagonistes résonne sous les arcades.

Antoinette Cremona, une musicienne à la voix faite pour chanter dans la rue (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Guitare aux arabesques peintes, vélo abîmé adossé au mur : « J’aime ce qui est patiné, rouillé, ce qui a vécu », décrit la chanteuse, le revendiquant comme une identité. Antoinette : artiste multi-casquette, « marionnettiste, plasticienne et musicienne trois à quatre fois par semaine. » Même si elle l’admet, « la musique, apprise en autodidacte, prend une part de plus en plus importante dans ma vie. »

« Les moulins de mon cœur », « Sous le ciel de Paris », « Petit vin blanc »…

M. Paul n’entend pas rester stoïque avec son orgue de barbarie… La Fanfare Feis remue la place Austerlitz.
Reggiani, Brel, Bécaud : accompagné de son orgue de barbarie, place du Marché-aux-Cochons-de-Lait, Paul Fernique alias « Monsieur Paul », comme il se fait appeler quand il est « sur la scène » chante, d’une voix de conteur, un répertoire délicieusement daté. Mais pas seulement. « Dernièrement, j’ai ajouté des cartons de Johnny Hallyday, Leonard Cohen… Je travaille aussi sur une série Salvatore Adamo, » décrit le musicien.
Comme une envie de « faire aimer son instrument ». Un orgue de barbarie, de 92 kilos, fait sur mesure, « acheté il y a sept ans pour 12 000 euros à un artisan de Saint-Etienne ». Il faut encore le transporter « comme à l’ancienne » pour jouer, « renouveler les cartons à insérer dans l’instrument, que l’on peut désormais faire soi-même à l’aide d’un logiciel », et attraper le passant. Monsieur Paul  ne choisit pas les rues les plus passantes, il ne gagne que 10€ en moyenne par heure avec ses chansons.
Monsieur Paul joue plutôt la carte nostalgique (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Monsieur Paul joue plutôt la carte nostalgique (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Aux alentours de 16h, sur la place aux allures de carte postale, comme figée dans le temps, un bambin dans une poussette passe devant le musicien. Un instant, les regards s’accrochent entre l’enfant et l’homme de 58 ans. Peut-être le look « de gavroche » du musicien est-il pour quelque chose dans la fascination de l’enfant. Béret, boucle d’oreille en métal, lunettes rondes, gilet noir…
« C’est l’aspect traditionnel du musicien qui joue de l’orgue de barbarie, décrit Paul. C’est un peu le respect que l’on doit aux passants que de respecter ces codes. »
Le territoire de Paul : la place du Marché-aux-Cochons-de-Lait la plupart du temps, près de la cathédrale l’été, un coin lors des spectacles sons et lumières et puis quelques festivals de musique mécanique dans le sud de la France…
Collectif acoustic : « musiciens sans frontières et convergence des styles » (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Collectif acoustic : « musiciens sans frontières et convergence des styles » (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Collectif acoustic, de la musique bio

Le collectif Acoustic préfère une relation directe avec le public
Sorin à la contrebasse, Marius au violon, Georges et Ervin à la guitare. Les quatre membres du « Collectif acoustic » sont originaires de Hongrie, Roumanie, Moldavie… Leur credo : « la musique naturelle, sans électricité, et de qualité ». C’est un peu « comme les légumes bios par rapport aux légumes industrielles » défend Sorin, le contrebassiste. Et de continuer avec sa métaphore farfelue, un brin exalté :
« Les gens sont empoisonnés par des OGM musicaux. Nous, nous proposons un peu de vitamine D, une occasion de sortir prendre le soleil, de venir partager une musique pure et simple, ambassadrice de la paix. »
Sorin défend une musique sans électricité, naturelle, proche... (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Sorin défend une musique sans électricité, naturelle, proche… (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)
Le groupe, revendique-t-il, est fait de « musiciens sans frontières », dans une convergence de style d’Europe de l’Est, jazz, classique.
« Notre défi, c’est de faire voyager les gens, d’éveiller leur curiosité, leur intelligence. Les enfants sont aussi un public important, ils ne sont pas contaminés par une vision négative des musiciens de rue. »
Et de conclure, alors que quelques applaudissements retentissent sur la terrasse du restaurant « La corde à Linge », dans la Petite-France : « Nous jouons dans la rue à l’occasion, mais nous ne sommes pas des clochards ».
Les rues de Strasbourg accueillent aussi la fanfare FEIS des Externes et des Internes de Strasbourg, et des artistes qui souhaitent rester anonymes, comme ce saxophoniste place de la Cathédrale, ce guitariste place Kléber…