mardi 9 décembre 2014

La Nature n’est pas un business

Du 24 novembre au 6 décembre, la Quinzaine amazonienne a permis à trois chefs indiens d’Amazonie de transmettre un message qui nous concerne tous. Retour sur cet évènement.

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Dans les rues de Paris, leurs chapeaux ornés de plumes, maquillage tribal et tenue colorée ne passent pas inaperçus. Benki Piyâko Ashaninka, Puwê Luis Puyanawa et Walter Lopez Shipibo ont fait un long voyage pour rejoindre la capitale. Tous trois sont des chefs indiens originaires de l’Acre, région frontalière de l’Amazonie brésilienne et péruvienne. Leurs communautés y ont toujours vécu en harmonie avec la nature mais à cause de la déforestation et l’avancée de l’urbanisation, ces leaders s’inquiètent pour l’avenir de leur peuple. Les incidences sur leur mode de vie ont des variantes, mais le problème reste le même : ‘’La terre est en train de mourir et il est de notre responsabilité à tous d’agir très vite, rappelle Benki. La nature n’est pas un business’’.
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Retrouver son autonomie et éduquer les jeunes générations
Pour Benki Ashaninka, il est essentiel que les Indiens retrouvent leur autonomie alimentaire : ‘’En détruisant notre forêt, les blancs sont devenus riches mais ils nous ont laissés pauvres. A cause de la déforestation et de la pollution des eaux, nous nous sommes retrouvés sans animaux, sans arbres, sans poissons dans les rivières, et nous devions acheter du riz, des biscuits et des conserves provenant de l’extérieur pour nous nourrir  alors que tout est dans la forêt’’ explique le leader qui a déjà réagi en créant une université des savoirs de la forêt. Créé en 2007, le centre Yorenka Âtame organise des programmes de reboisement et permet aux jeunes générations de réapprendre le mode de vie traditionnel. A ce jour, ils ont replanté 200 000 arbres mais ce n’est pour Benki que le début d’un long processus. Ce leader exemplaire a permis de restaurer toutes les espèces de plantes qui font vivre son village mais n’a récupéré que 25% de sa forêt.
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La fierté d’être Indien et la préservation des sites sacrés
Pour sa première visite en Europe, Puwê Puyanawa s’étonne de l’agitation dans les rues : ‘’Il y a des voitures partout et les gens courent dans tous les sens. Mais comment peut-on savoir où l’on va si l’on ne prend jamais le temps d’observer ce qu’il se passe et de penser’’. Sa communauté vivant tout près d‘une ville, ce chef est très critique sur les effets néfastes de l’urbanisation. Cette proximité avec le monde moderne lui demande un effort constant pour souder sa communauté et empêcher que les jeunes ne tombent dans l’alcool, la drogue, voire même la prostitution. Depuis peu, le gouvernement brésilien envisage de faire construire une route à l’endroit même où se trouve un site sacré puyanawa. Pour réagir, Puwê tente de réunir des fonds pour de racheter la terre de ses ancêtres : ‘’Les indigènes ont le droit d’occuper un territoire mais le gouvernement garde le droit de l’exploiter pour construire une route ou encore en explorer les sous-sols pour chercher du pétrole et d’autres ressources’’  se désole-t-il.
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Réactiver la culture
 traditionnelle et fédérer les peuples‘’Les occidentaux pensent à leur business sans penser à nous. Ce qui est à eux restent à eux, et ce qui est à nous se négocie’’ s’insurge Walter Shipibo. Mais pour ce chef péruvien, les dégâts ont commencé bien avant la destruction de la forêt : ‘’Avant l’évangélisation, nous vivions en contact direct avec les Esprits de la nature mais les premiers colons nous ont déconnecté de nos croyances ancestrales en interdisant certaines pratiques. Plus tard, des scientifiques et des anthropologues se sont intéressés à nous comme si nous étions des plantes ou des animaux, avec le seul but de rentrer chez eux avec un doctorat ! Notre connaissance de la nature a fait avancer la science mais qu’en avons nous tirer de positif ?’’ Très inquiet, le chef péruvien espère organiser un grand festival au mois d’aout 2015 pour fédérer les peuples. Réactiver la culture traditionnelle est pour lui le moyen le plus efficace pour qu’un changement s’opère. Unis, ils seront plus forts pour se faire entendre. ‘’Nous vivons sur un espace de 12 millions d’hectares et seulement 62 communautés sont reconnues politiquement alors qu’il en existe 354.’’
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Un échange de connaissancesConfrontés à des menaces de mort régulières dans leur pays, ces chefs indiens doivent s’unir à des associations pour pouvoir faire passer leur message. En France, ils ont trouvé un soutien pour organiser des rencontres et des programmes de sensibilisation auprès des associations Akiri et Cœur de forêt ainsi que l’artiste Franz Kracjberg. ‘’Nous ne sommes pas ici pour demander mais pour échanger des connaissances’’ précise Benki. Regardez comment la science avance grâce à notre enseignement. Mais la technologie n’atteindra jamais la richesse de la nature. Nous sommes donc ici aussi pour vous apporter notre degré de conscience et vous montrer comment nous réussissons à vivre en équilibre à travers notre savoir traditionnel.’’
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Présent lors de plusieurs rencontres, le chercheur en neuroscience cognitive Idriss Aberkane prend lui aussi la parole pour les soutenir : ‘’Les Indiens sont un trésor pour l’humanité. Alors que nous apprenons à peine à comprendre la nature, les Indiens la lisent comme si elle était une immense bibliothèque de savoirs’’.
La technologie comme arme de défenseLes Indiens utilisent internet autant pour diffuser leur message que pour informer sur ce qui se passe sur leurs terres parfois très retirées : ‘’Entre 2003 et 2005, les Ashaninka brésiliens ont rencontré des problèmes avec des compagnies péruviennes qui venaient couper du bois sur leur territoire. Ils étaient quasiment en guerre et c’est grâce à internet qu’ils ont pu trouver de l’aide, explique Eliane Fernandes, anthropologue spécialisée dans les questions liées à l’environnement. Consciente des effets négatifs que pourrait aussi avoir internet sur les jeunes, elle précise : ‘’la technologie peut être une grande force pour une communauté si elle est soudée. J’ai remarqué que parfois, les jeunes étaient tentés par la ville, mais ils reviennent toujours. En plus, il y a deux ordinateurs au maximum par communauté, et ils ne s’en servent qu’avec le but de communiquer sur les problèmes qu’ils rencontrent.’’
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L’expédition Tsonkiri pour réunir les peuples transfrontaliersToujours pour réunir les communautés entre elles et préserver leur culture autant que leur environnement, une expédition de plusieurs mois est prévue pour mai 2015. Plusieurs leaders Ashaninka du Brésil vont ainsi reprendre la route vers Pérou pour retrouver les autres chefs de cette communauté aujourd’hui disséminée. Leur parcours devrait s’achever en aout 2015 avec la fête Shipinawa Bakebo qu'organise Walter Shipibo dans son village. L’ensemble de l’expédition fera l’objet d’un film de 52 minutes destiné à l’international et une version de 26 minutes destinée aux Indiens.
Avant de quitter le territoire français, les trois chefs indiens ont remis une lettre au ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. Pour Puwê Puyanawa, c’est une bénédiction qu’il puisse être ici pour transmettre son message. Conscient que tout ceci n’est que le début d’un long processus, il en appelle à l’Esprit de la forêt pour lui permettre de continuer. Espérons que le grand Esprit les accompagnera encore longtemps.
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Texte : Géraldine Rué

Photos : Anouk Garcia
En savoir plus :
Découvrir la région de l'Acre : Fondatrice de l'association Akiri, la reporter photographe Anouk Garcia travaille depuis plusieurs années sur la région de l'Acre et tente de venir en aide à ces communautés : www.anoukgarcia.comDécouvrir de l'association Akiri : www.akiri.fr
et l'Association Cœur de forêt : www.coeurdeforet.com
Soutenir l'Expédition Tsonkiri : akiri.fr/Tsonkiri

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