mercredi 24 février 2016

RAISONS D'ESPERER (Jean-François BERNARDINI)

Une réflexion à méditer.

Raisons d’espérer ! Bastia a « limogé » la violence Je me souviens d’une anecdote racontée un jour par un footballeur bastiais interrogé par un journaliste : « On connaît vos origines sénégalaises : êtes-vous quelquefois victime de propos racistes ? - Oui, tout à fait : quand je me déplace avec l’équipe de Bastia, on me traite souvent de "sale Corse" ! » Les jeux du stade ont leurs paradoxes et leurs subtilités en terme de « propos racistes ». Si c’est à l’aune des insultes prononcées sur les stades et surtout dans les tribunes des stades que l’on va statuer des racismes, mieux vaut être prudent ! Sur fond d’une réalité bien triste et malheureuse - puisque un jeune supporter de football a perdu un œil et un étudiant se retrouve incarcéré pour 5 mois - je voudrais ici mentionner auprès des supporters bastiais - dont je suis - la gravité certes, mais aussi la légèreté avec laquelle les insultes sont proférées sur tous les stades de football, ou presque. L’insignifiance de ces insultes-là Je voudrais saluer le courage et la générosité d’une jeunesse dont le coeur tressaille face à l’injustice, saluer une jeunesse qui se lève quand quelqu’un tombe. Comme vous, je suis indigné. Mais je voudrais relever aux yeux de nos amis supporters « l’insignifiance » de l’insulte, et plus encore, quand dans un tel contexte, on lui prête qualité de « concept » ou de « pensée » ! Mérite-t-elle un seul œil d’un seul être humain ? Mérite-t-elle un seul jour de prison ? Mérite-t-elle autant l’embrasement de nos colères ? Serions-nous tellement faibles que notre identité collective soit mise à mal par l’insulte d’un CRS ou de quiconque. Serions-nous tellement faibles que l’on puisse se sentir attaqué par si peu ? Serait-ce l’aveu d’un inquiétant manque de racines, un profond malaise d’appartenance solide, qui fait que l’on se sente attaqué par ces insultes-là ? Trois erreurs En ces évènements, ce pot pourri « explosif » que nous vivons, trois erreurs sont dangereusement lisibles… Première erreur : on ne va pas au foot comme on va à la guerre ! Deuxième erreur : on ne dresse pas des policiers comme des chiens de combat ! Quand ils ne sont pas fidèles à leur devoir de gardiens de l’ordre et de la paix, ils bafouent nos droits, les leurs, et la paix à laquelle nous aspirons tous. Ces situations exigent responsabilité, respect des règles, médiation, et non pas riposte au même niveau d’irresponsabilité. Troisième erreur, encore plus insupportable : voir les garants de la justice et du droit travestir la vérité, déguiser, ou tenter de le faire en toute impunité. Là on passe dans - 2 - une autre dimension, celle qui bafoue les droits de chaque citoyen et menace l’Etat de droit. Au final chacun se barricade avec les moyens qui lui restent, ou du moins avec les seuls que chacun connaît : violence, contre-violence, refus de responsabilité, répression : une spirale sans fin. Racisme anti-corse Parce qu’ils sont récurrents, chroniques, et désormais reconductibles, que voit-on défiler en ces évènements, si ce n’est la trame de 250 ans d’Histoire, de déni, de non-dits, d’erreurs, et la Corse y a souvent pataugé aussi. Chacun avance avec ses affects, ses blessures. On ne les choisit pas, mais ils nous affectent et affectent nos comportements. Quand supporters et CRS se retrouvent face à face, sans vérité, sans Histoire, sans mé- moire, que pensons-nous qu’il advienne des deux côtés ? Ils se retrouvent là en service commandé par une vieille blessure, mais ne le savent pas. Parler de « racisme anti-corse » ou de « racisme anti-français » me semble être une méprise. Elle ne peut servir que celles et ceux qui veulent se simplifier le monde, et se dédouaner de responsabilités. Cependant, « racisme anti-corse », est à mon sens le terme mal choisi pour exprimer le sentiment d’injustice séculaire que des Corses éprouvent légitimement à l’égard de l’Etat français, et non pas à l’égard du peuple français. Il s’agit d’une blessure semblable à celle d’autres situations historiques dans le monde. Une défaite de l’âme et de la pensée. Que l’on veuille l’admettre ou pas, des deux côtés, nos « inconscients » portent les symptômes de ce « post traumatic disorder ». Jamais cela n’a été reconnu et nommé. La vérité, la justice, la réparation n’ont jamais eu lieu. Au moindre déclencheur, surgissent les résidus de la blessure. Chacun est agi, guidé par les séquelles du « trauma ». Des deux côtés, chacun porte l’empreinte de ces traces indé- lébiles, profondément inscrites dans l’inconscient collectif, à travers tant de générations. Prononcer « racisme anti-corse », « racisme anti-français » c’est dire sans doute : « Aie le courage enfin de reconnaître ce que tu m’as fait » ! Alors, et alors seulement, une guérison, une paix s’avèrent possibles, parce que désirées des deux côtés. Aujourd’hui, le temps n’est pas au revanchisme ni au décompte des souffrances. C’est un appel de « phare », un signal d’alarme qui clignote. Que faisons-nous, que ferons-nous de cette réalité-là ? Où voulons-nous aller ensemble, et dans quelles conditions ? Seule la vérité portera le soulagement. Il est temps, il est grand temps. Une nation n’est grande que si elle sait écouter, guérir les douleurs, les plaies dont elle porte une responsabilité. Est-il interdit de rêver qu’un jour les descendants de Pasquale Paoli et les descendants du Préfet Erignac se retrouveront pour s’incliner devant les douleurs de l’Histoire, et enfin entamer ensemble le combat des justes ? - 3 - Le piège : la tentation de la violence Le piège c’est que, conscient ou pas, chacun traîne ce reliquat et porte le poids de l’Histoire. Le piège c’est que de nouveau, CRS et jeunes vont se retrouver, s’affronter dans la vie, dans les stades, dans les rues de Bastia ou d’ailleurs. Le piège c’est que chacun s’y retrouvera avec les moyens, le peu d’outils dont il dispose. Dans ces cas-là, malgré les bonnes volontés, le refrain est connu : « priorité à la violence » ! La Corse connaît bien, trop bien, cette impasse. Elle en a payé et en paie encore le lourd tribu. Sans véritable formation et organisation efficace en « non-violence », toute manifestation même annoncée « sans violence » pourrait dans ce contexte, se conclure « dans la violence », fût-ce celle d’une infime minorité. Là est le piège. Saurons-nous le déjouer ? Utiles au système L’espoir ne se lèvera que si, collectivement, nous savons tirer les leçons du passé. Seuls des moyens nobles peuvent mener à terme une lutte noble. Cela se choisit. Cela s’apprend. Cela se cultive. Ne nous laissons plus ballotter d’une banderille à l’autre, d’un chiffon rouge à l ‘autre, d’une voie sans issue à la suivante. Apprenons, découvrons, développons, sans rien renier de nous-mêmes, les immenses ressources de dignité qu’il y a en chacun. Trouvonsles, cultivons-les, ces graines de non-violence qui sont en nous et dans notre culture. C’est cela qui mettra les peuples, le peuple des « Justes » à nos côtés. En 2016, oui, la lutte est urgente. Mais aucune victoire ne se fête en brisant quoi que ce soit, en blessant l’âme de l’autre. Aucune lutte intelligente ne se mène « barre de fer » à la main. Aucun « chemin frère », aucun chemin digne ne s’ouvrira en mettant une cagoule. Il y a des moyens qui font la perte des causes les plus nobles, des combats les plus justes. Soyons celles et ceux qui donneront à la Corse les outils de sa liberté face aux grands défis de la planète, qui nous menacent en Corse et partout, bien autrement que les CRS. Devenons créateurs, imaginatifs, exigeants, journalistes, enquêteurs, combattons la corruption, devenons avocats et juges, pour installer plus de justice et faire cesser l’impunité : devenons écrivains pour défendre la vérité, les langues, paysans pour cultiver, produire, préserver notre terre, gardiens de nos valeurs, nos trésors, pour les sauver de la spéculation… Devenons citoyens debout ! Enfin autre chose Au lieu de devenir « utiles au système », de lui donner clef en main tous les arguments pour justifier injustice et répression, donnons-nous ces moyens nobles qui seuls engendrent les victoires. C’est à ce prix-là « Ghjuventù corsa », et seulement à ce prix-là, que tous les justes, Corses et non-Corses apporteront leur contribution, indispensable, à l’avenir de cette île et de la planète. - 4 - De ces évènements tristes, douloureux, nés d’une litanie d’erreurs, faisons autre chose, qu’une forme de rébellion très « conservatrice » qui condamne à de nouvelles souffrances Mamme, Babbi è figlioli. Basta e famiglie chì pienghjenu. Basta les familles qui pleurent. Enfin autre chose qui nous porte et nous ressemble. Infine, altre cose, un soffiu chì ci assumiglia Samedi 20 février 2016 à Bastia, des citoyens corses ont emprunté l’intelligence, les outils de la non-violence : ils ont avancé, tee-shirts blancs, mains nues, unis et nombreux, dans la joie de lutter, sans cagoule, avec ces mots seuls que le peuple retient « ghustiziasulidarità ». Sans armes ni violence, avec l’intelligence d’une humanité clairvoyante que nous donne à tous la certitude de bien faire avec les bons moyens, ils ont fait le « pas de côté » cher à tous les combats non-violents du monde. En refusant le chemin « piégé » de la Préfecture, empruntant d’un même élan la direction de l’Hôtel de Ville, vous avez fait, fratelli è surelle care, le geste simple, symbolique et puissant, celui d’une autre conscience politique : vous avez choisi ensemble l’efficacité de la non-Violence. La non-violence n’invite quiconque à « s’écraser ». Elle lutte. Et si désormais la Corse entrait vraiment dans une ère nouvelle ? Celle où nous serons bâtisseurs de paix, celle où nous prendrons notre destin en main, celle où nous aurons enfin pris la mesure de ce que nous possédons dans l’unité des justes, « l’unità di i ghjusti ». Ne nous laissons jamais enfermer dans le statut de victime. Soyons le changement que nous voulons voir. Soyons la Corse debout, sans bourreaux ni victimes. Goûtons au triomphe des moyens nobles pour défendre des causes nobles. Alors nous serons nous-mêmes. Corses, libres de l’être, Corses de justice et de paix, reliés à tous nos frères, chercheurs de justice de par le monde. Non il ne s’agit pas de renoncer à lutter ! Il s’agit de lutter cent fois mieux. Samedi 20 février 2016, fratelli cari, surelle care, vous avez donné « raisons d’espérer ». Jean-François Bernardini - 20 et 22 di ferraghju 2016 A Anvers, en tournée avec I Muvrini Mail : i.muvrini@wanadoo.fr
Afficher l'image d'origine

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire