dimanche 1 février 2015

La haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour


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La haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour

J’ai pris le temps, et la liberté, de dactylographier une intervention d’Edwy Plenel sur France Culture le 22 Janvier, au sujet de l’attentat de Charlie Hebdo. Elle m’est apparue particulièrement mesurée et argumente avec brio mon opinions controversée au sujet de la liberté d’expression, dont ce journaliste a fait preuve d’une manière particulièrement pertinente face aux pouvoirs en place.
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Charles_peguy.jpgDepuis ce que nous avons vécu les 7, 8 et 9 Janvier, je me promène avec deux citations de Péguy, face à cet évènement qui à la fois nous révèle à nous-même et, je l’espère, nous réveillera dans un sursaut qui ne sera pas celui de la guerre des identités mais de l’exigence d’égalité. La première citation est la suivante :
« Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être du monde ils croient qu’ils sont de Dieu. Parce qu’ils n’ont pas le courage d’être d’un des partis de l’homme, ils croient qu’ils sont du parti de Dieu. Parce qu’ils ne sont pas de l’homme, ils croient qu’ils sont de Dieu. Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu. »
Evidemment, c’est à destination des terroristes et des idéologies criminelles délirantes qui ont armé leur bras. Péguy ajoutait : « Mais Jésus-Chris même a été de l’homme. » On pourrait dire, j’ajoute, autant de Moise ou de Mahomet.  C’était alors un philippique contre le parti dévot, de toutes les religions et des sectaires quels qu’ils soient. Il ajoutait « Il ne suffit point d’abaisser le temporel pour s’élever dans la catégorie de l’Eternel. Il ne suffit point d’abaisser le monde pour monter dans la catégorie de Dieu. Nul ne sera diminué pour que les autres paraissent plus grands.
Je me promène avec cette citation et je la lis devant toute sorte de public, de toute sorte d’origine, de croyance, de culture, dont nos compatriotes musulmans. Mais il y en a une autre plus délicate, de Péguy toujours, que je promène aussi. C’était à propos des caricatures de l’extrême droite, de l’action française à l’époque qui, par le prétexte de la caricature, diffusait la haine antisémite. Voici ce que Péguy écrivait qui doit nous alerter :
« […] on ne fonde, on ne refonde aucune culture sur la dérision et la dérision et le sarcasme et l’injure sont des barbaries. Ils sont même des barbarismes. On ne fonde, on ne refonde, on ne restaure, on ne restitue rien sur la dérision.»
C’est dans Notre Jeunesse, superbe livre de 1910 où il revendique son Dreyfusisme actif. Il y a là une question délicate que nous devons débattre. Nous défendons le droit à la caricature et nous avons raison. Nous défendons ce droit à l’excès, au trait mordant, ironique. Mais c’est une chose de défendre ce droit là, et autre chose de penser que tout l’espace public doit avoir comme norme la transgression. L’idée que tout pourrait se dire, tout pourrait se caricaturer, tout pourrait se moquer, tout pourrait s’insulter ou s’abaisser. Il y a là une vraie question, notamment  pour les enseignants, qui se retrouvent devant des lycéens, des collégiens qui parfois disent n’importe quoi dans une cour de récréation, ou sur les réseaux sociaux.
Comment enseigner à notre jeunesse le respect de l’autre, la simple civilité, l’interdit de l’insulte et de l’offense vis-à-vis de l’origine, de l’apparence ou de la croyance, si notre espace public, ses médias, ses politiques font avec complaisance la pédagogie inverse. Si, par exemple comme ce fut le cas dans les mois qui ont précédé les attentats de début Janvier, notre espace public est encombré de mises-en-scène islamophobes dénigrant nos compatriotes musulmans dans leur diversité d’origine, de culture ou de croyance ; Si nous laissons la place à une transgression irresponsable, destructrice de tout idéal solidaire, de toute république commune, de toute communauté nationale.
La proclamation de la liberté d’expression, cette défense, je le répète, du droit à la caricature, de ces excès ironiques ou moqueurs qui accompagnent légitimement la solidarité avec Charlie Hebdo, n’implique pas que notre vie publique doive s’abaisser et s’égarer dans la détestation d’une partie de notre peuple, je le répète, en raison de sa culture, de son origine, ou de sa religion. La haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour. Et pour se dire cela, il suffit de se reporter aux premières déclarations des droits de l’homme. La toute première, celle de 1789, article 4 :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
La seconde, celle de la constitution de l’an I, article 6:
« La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas au droit d’autrui. Elle a pour principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi. Sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »
Edwy_Plenel.jpgPour enseigner la civilité, pour enseigner le respect de l’autre, il faut aussi que dans notre espace public, et notamment médiatique, nous ne continuions pas sur cette dérive, qui a commencé hélas il y a plusieurs années, où la transgression sous prétexte de l’audience, sous prétexte de cet effet où l’on ose, soit la norme. Il faut nous respecter nous même, il nous faut donner l’exemple, ce qui ne veut pas dire, encore une fois, empêcher qu’il y ait un art de la transgression, mais qui est un art en soi. Ce n’est pas la norme du débat public. Le débat public c’est d’abord de respecter l’autre.
​Par EDWY PLENEL​

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