mardi 20 août 2013

Ecrits de Gautier à propos du Burkina Faso (4)

...... Je ne comprends pas comment un individu extérieur peut venir travailler et aider ici sous une bannière religieuse (c’est le cas de la plupart des acteurs liés au secteur du développement présents au Burkina) puisqu’ici, la foi au lieu d’aider à atteindre un idéal, sclérose. On se repose tellement dessus (et sur les croyances) que de toute façon que l’on fasse ça ou ça, ma Foi, si Dieu le veut, ça marchera.
Ouagadougou n'est qu'un ersatz de ville occidentale. Un calque raté d’un modèle venu d’ailleurs
tout comme notre vision des droits de l'homme, de la démocratie ou du prélèvement de l'impôt. Il y
a des rues, numérotées faute de noms à donner. Très peu de personnes veulent de notre démocratie,
un leader charismatique qui a détrôné le précédent leur semble plus légitime (aucun chef d’Etat n’a
accédé au pouvoir pacifiquement). Le prélèvement d'impôts pour la redistribution n'en est qu'à
l'étape de concept. Je me suis fait arrêter pour deux infractions en moto. Je n'ai pas de carte grise
donc le pot de vin est un peu plus élevé (5000 franc soit 7 euros 50), habilement glissés dans le
permis de conduire. De tous les burkinabès que j'ai rencontrés, aucun n'a jamais croisé, connu ou
entendu parler d'un policier qui n'était pas corrompu. Même dans le centre de sport étude de foot du
Burkina, il est possible de rentrer sans briller aux tests sportifs. La notion de bien commun est
également un concept importé qui n'a ici aucun sens. La plupart des fonctionnaires qui ont assez de
responsabilité pour avoir une voiture de fonction s'en servent pour leurs déplacements personnels et
pour transporter des stères de bois ou du ciment. Il arrive qu'une voiture ne fonctionne plus après 20
000 km. Le Burkina Faso signifie littéralement «le pays des hommes intègres ».

Il y a de ces clichés comme celui qui qualifie les « Africains » comme solidaires et toujours prêt à
s'entraider. Il n'en est évidemment rien, pas plus qu'ailleurs. La volonté de survivre, ou les liens
familiaux induisent l'entraide, rien de plus ou presque. Un autre cliché, un peu plus gros celui-là
mais couramment prononcé tout de même « qu'ils sont heureux quand même avec moins », qu'ils
savent « apprécier les choses simples », jusqu'à être presque enviés par certains occidentaux
croulant sous leurs névroses modernes. C'est juste faux. Il n'y en a pas un – et c'est tout à fait
légitime – qui ne voudrait pas habiter sur une parcelle plus sure, passer du vélo à la moto voir de la
moto à la voiture (là il va falloir attendre un peu), s'acheter un Smartphone, ou manger dans un des
restaurant pour blancs. J'ai dîné avec un touareg et sa famille (réfugiés du Mali depuis une vingtaine
d'années) ; ma collègue fait son mémoire sur la transmission de l'identité chez les Touaregs vivant
au Burkina, qui envoient notamment leurs enfants au pays tous les ans pour qu'ils n'oublient pas et
ne deviennent surtout pas comme les burkinabès. Avec ma préconception de l’individu « Touareg »,
je m’imaginais un homme libre arpentant le désert sur son dromadaire et n’ayant que faire de notre
futile matériel. Je ne sais plus exactement à quelle question le chef me répondait mais il m'a regardé
avec ses dents blanches et son chèche bleu et m'a dit qu'évidemment il avait besoin et envie d’un
4X4 et d’un nouveau portable, et généralement de ce que tout le monde voulait – l’air de dire « tu
m’a pris pour un apache ou quoi » ?!

J'ai l'occasion de m'intégrer en profondeur dans la vie du bidonville que j’étudie dans le cadre de
mon stage. Mon rôle premier est de trouver des solutions aux problèmes posés par les bancotières
(d'où on extrait la terre pour construire les fameuses briques), selon le rapport rédigé par mon
bureau d'étude pour l'ONU. Les bancotières peuvent faire 5 mètres de profondeur et sont très
dangereuses quand elles sont remplies d'eau. J'ai rencontré la mère d'un enfant de dix ans mort la
veille. Il était en train de pécher et est tombé dans un trou. Je cherche alors principalement à
sécuriser les abords, sachant qu'il n'y a pas d'argent. Pas du tout d’argent. Je cherche donc des
solutions comme celle qui consiste à mettre des arbustes épineux le long des zones dangereuses.
Sauf que les moutons les broutent. Et qu'il faut les acheter. Et qui les mettra en place ? Parce qu'il
faut dire une chose, c'est que c'est dur de faire bouger la population locale.

Je vais essayer de ne pas m’empêtrer dans une explication forcément incomplète de ce qui fait que
les choses ont beaucoup de mal à bouger, mais d'après moi – non pas que moi en fait – la raison
principale réside dans le fait que tous les habitants sont persuadés qu'ils n'ont pas vraiment de prise
sur leur destin. Que c'est Dieu qui a emporté le petit Abseta la semaine dernière, quand il péchait
dans le bas-fond. Que c'est le même Dieu (ou un autre) qui a rappelé à lui le vieux qui s'est noyé l'an
passé. Non, le Dolo (alcool de mil) dont il a abusé n'est pas responsable, ou alors ce n'est qu'une
cause secondaire. Ou alors qu'il s'est fait OUAKER. Environ 99 % des burkinabè croient aux
OUAKS (sorts que l'on peut s'entre-lancer pour se punir, très présent entre les femmes d’un même
mari).
Certains géographes du 19ieme essayaient d’établir des corrélations entre le climat et le caractère
des individus ou le type de société adopté. Logique déterministe menant à des conclusions souvent
simpliste, cette étude a vite été abandonnée, alors qu’elle mériterait selon moi d’être creusée, non
pas pour être placé comme un facteur déterminant mais simplement comme un des facteurs. Il fait
juste trop chaud quand ce n’est pas la saison des pluies, on ne peut rien faire. Et cette rythmicité
donnée par la saison des pluies et le fait qu’elle ravage les habitations n’engage pas à voir à long
terme, et à investir par exemple, on reconstruit simplement après la pluie, chaque année.

Je suis moyennement bien accueilli sur le lieu d'extraction de terre (ils croient tous que je vais les
chasser) ; certains n'ont jamais vu de blanc. Je suis parfois regardé par 100 personnes à la fois,
regards plus suspicieux qu’haineux, mais tout de même. Il en va de leur survie, si on réaménage ne
serait-ce que dix mètres carrés quelqu’un perdra son travail. J’avoue que travailler dans ces
conditions pseudo-hostiles est assez stimulant. Je vais avoir du mal à ce que l’on ne me regarde pas
constamment en rentrant chez les blancs. J’ai parfois 20 enfants qui crient « nasara » (le Blanc)
autour de moi et parfois même des adultes qui s’approchent et disent juste « le Blanc » sans rien
ajouter. Alors parfois je réponds aux enfants « salut les petits noirs » (phrase assez difficile à
prononcer la première fois quand on vient de France où l’on est tous foncièrement identiques !) et
ils partent dans un fou rire interminable, comme s’il venait de découvrir que leur peau était
effectivement noire.

Sinon il commence à y avoir des manifestations suite à la création du Sénat, qui coûte cher et qui
permettra surtout à l’actuel président (en place depuis 87 et la chute de Sankara) de modifier
l’article 37 de la constitution afin de rester au pouvoir. Il est possible que ça dégénère comme il y a
deux ans et qu’il y ait un couvre-feu, mais la police a trouvé une solution provisoire : elle ferme les
cités U en Août, plus d’étudiants pour fomenter de complots. Il y avait un dirigeant entièrement
dévoué à son peuple pendant 3 ans, Sankara (et intègre), avec qui le pays aurait pu s’en sortir.
Seulement il n’œuvrait pas pour les intérêts français (on a soutenu le coup d’Etat qui l’a renversé en
87). Si ça vous intéresse on le voit parler à Mitterrand pendant les 30 premières secondes de cette
célèbre rencontre, et on comprend un peu mieux pourquoi il n’a pas fait long feu :
http://www.youtube.com/watch?v=18AoRhBos4g
Concernant l’accession à une réelle démocratie ainsi qu’à une administration efficace et un système
social solide au Burkina, les plus optimistes parlent de 150 ans.

1 commentaire:

  1. vraiment intéressant ces écrits, particulièrement sur les bancotières, j 'aimerais en savoir d'avantage dans le cadre de mon étude,pourrai-je avoir une version numérique du rapport sur les bancotière?

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