mercredi 14 août 2013

Partage de vécu En Afrique (2) par Gautier



Voilà cinq semaines que je vis à Ouagadougou. 
J’ai commencé à rédiger ce mail il y a dix jours, effacé et réécris plusieurs fois l’ensemble, suivant
mon humeur et ce que je voulais transmettre. Dix jours que j’essaie de trouver une juste description,
qui n’existera finalement pas : j’abdique et j’envoie un texte qui vous paraîtra   et qui est  décousu,
fait de petites histoires et de commentaires. C’est long mais attention d’ ici trois jours je vous
poserai des questions pièges pour vérifier que vous n’ avez pas sauté de passages. 

Rien dans la ville et la vie de tous les jours n'est agréable ; cela ne veut pas dire que rien n'est
intéressant, le chaos, le non-sens et la désorganisation ont tout leur intérêt ; quand on sait que l'on
n'est pas coincé ad aeternam dans le pays. Ouagadougou et le Burkina Faso sont de ces lieux qui
n'ont rien. Pas de ressources, pas de paysages, pas d'argent, pas de bâtiments architecturalement
intéressants, pas de religion ou de culture dominante mais un mélange déroutant de croyances. Pas
une seule piscine, pas une seule bibliothèque ouverte pendant le mois d'Août, 3 mois de délai
minimum pour commander un livre dans une librairie. Un seul par c où l'on ne va qu'une fois, des
boîtes qui diffusent des playlistes désagréables aux intérieurs tapissés de miroir   les burkinabès
adorent danser seuls en se regardant dans un miroir   au point qu'après trois verres, on croit avoir
approché son  il d'un kaléidoscope. Pas de gastr onomie ou de plats typiques, pas d'artistes ou de
« créateurs » ou alors des vendeurs de babioles dont on n'a que faire. Tout est globalement
chaotique. La circulation. Rien ne marche, et ce n'est pas uniquement dû à l'extinction des feux de
circulation lors des coupures de courant ou aux moments de folie qui  précèdent les pluies
torrentielles. Rien n'est coordonné, le monde se faufile. L'impression que rien ne tourne (au sens
large, dans la vie de tous les jours) se transforme en chape de plomb qui tantôt immobilise, tantôt
enrage, et entraîne finalement une espèce d'indifférence ; il semble vain d'essayer de qualifier ce qui
gangrène le « système » tant les causes sont multiples, entremêlés. Et surtout sans réelle solution, à
l'échelle d'une vie humaine du moins.

Il est assez difficile d'évoluer dans ce cadre, de travailler ou même de discuter : au-delà du fait que
l'on n'ait aucune référence en commun pour alimenter les conversations, les dialogues restent des
dialogues de sourds comme si l'on avait des façons diamétralement opposées de réfléchir et
d'argumenter   sans que je puisse directement qualifier cette différence sans simplement dire que
leurs propos manquent de logique   quand bien même un dialogue réussit à émerger. « Ils » ont une
réelle difficulté à comprendre les liens de causalité, à lier les informations entre elles et un manque
simplement de connaissances et d'éléments de comparaison ; un vide comblé par les « croyances »
qui apportent des réponses toutes faites et qui ont le mérite d'être multiséculaires,
transgénér ationnelles et de fait peu remises en question. Je simplifie et raccourcis bien entendu,
mais sans caricaturer. J'ai tout de même rencontré un étudiant et un travailleur fraîchement diplômé
avec qui il était possible de discuter en confrontant nos points de vue.

La semaine passée nous sommes allés visiter le pays, en passant par Bobo Dioulasso, la deuxième
ville du pays. Nous y avons sacrifié une poule en faisant des v ux : il y a très peu d'activités
touristiques, on ne fait pas la fine bouche. A Banfora, une autre ville, nous nous sommes levés à
l'aube pour naviguer près des hippopotames en pirogue, un moment agréable et impressionnant.
Quelles monstrueuses bêtes. Nous avons finalement mangé des chenilles grillées   beurk   puis du
chien, luxe suprême. Une bonne viande. Ma coloc' a  ramené les restes dans un doggy bag.  Elle a
26 ans, fait du tennis, a un abonnement à la piscine d'un grand hôtel et roule en 4X4. Je l'imaginais
issue d'une famille aisée, elle a seulement eu beaucoup de chance. Elle a pu voyager en Europe et se
marier avec un allemand qui travaille en ce moment en Afghanistan, et peut lui offrir une vie
décente. Sa mère (deuxième épouse de son père) avait une technique toute particulière pour faire
s'endormir ses enfants le ventre vide. Elle mettait des cailloux dans une marmite qu'elle plaçait sur
le feu, en leur disant de régulièrement de ne pas s'endormir, que le plat allait bientôt être prêt. Les


enfants jouaient, discutaient pour finalement s’ endormir, sans jamais savoir qu'il n'y avait pas à
manger à la maison. Aujourd'hui, plus personne ne meurt de faim à Ouaga, mais seulement des
conséquences de leur mauvaise hygiène de vie et de l'impossibilité d'accéder au traitement dont ils
auraient besoin. Les accidents de la route sont une plaie, il ne se passe pas deux jours sans que l'on
croise des voitures arrêtées au bord de la route et un petit attroupement autour d'un corps ou d'un
véhicule. C'est d'ailleurs la première cause de mortalité des expatriés. En même temps je ne vois pas
très bien de quoi on pourrait mourir d'autre. Le gaz tue aussi, bien que de moins en moins. Il y a des
explosions sources d'incendies qui se propagent ensuite rapidement dans les quartiers où les
habitations sont trop rapprochées. J'ai dû sortir ma bouteille qui fuyait bruyamment dès le deuxième
jour, quelle drôle de sensation.

La pauvreté est ainsi à la base de la plupart des problèmes, pardon pour ce truisme monumental,
mais il est bon de le rappeler, puisque cette question n'est bien souvent pas à la base de la réflexion
ni des discussions de chez nous (ni même à mon sens traitée à sa juste valeur dans mes études). Elle
empêche d'envoyer les enfants à l'école et de leur donner ainsi une chance de s'en sortir. Certains
enfants (de la capitale) croient ainsi que les westerns décrivent la situation actuelle aux Etats-Unis.
Une partie considérable de la population (ils ne connaissent pas vraiment le fonctionnement d'une
carte bancaire) croit qu'il suffit, en Europe, de faire sortir de l'argent de certains murs, qui crachent
des billets. Elle empêche aussi l'investissement. Une brique en terre coûte 8 fois moins cher qu'une
en ciment. Si le système bancaire accordait des prêts, une maison tiendrait debout une cinquantaine
d'années. Dans une partie considérable de la ville on reconstruit tous les ans sa petite bicoque, après
la saison des pluies. Elle empêche finalement de sortir de certaines coutumes par manque de
contrôle étatique ; l’ excision est à présent interdite au Burkina, seulement personne n’ est là pour
vérifier. D’ après la dernière étude de l’ UNICEF (du 22 juillet) entre 50 et 80 % des femmes de 15 à
49 ans ont fait l’objet d’une excision dans le pays. J’étais dans une prison samedi   pour participer à
une petite fête avec mon patron qui est dans une association d’ aide aux détenus   et je n’ai croisé
qu’ une exciseuse. Les femmes emprisonnées pour avortement sont bien plus nombreuses, les
enfants (et les f tus…) sont sacrés ici (6,1 enfants par femmes en moyenne) . 


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