Voilà cinq semaines que je vis à Ouagadougou.
J’ai commencé à rédiger ce mail il y a dix jours, effacé et
réécris plusieurs fois l’ensemble, suivant
mon humeur et ce que je voulais transmettre. Dix jours que
j’essaie de trouver une juste description,
qui n’existera finalement pas : j’abdique et j’envoie un
texte qui vous paraîtra et qui est décousu,
fait de petites histoires et de commentaires. C’est long
mais attention d’ ici trois jours je vous
poserai des questions pièges pour vérifier que vous n’ avez
pas sauté de passages.
Rien dans la ville et la vie de tous les jours n'est
agréable ; cela ne veut pas dire que rien n'est
intéressant, le chaos, le non-sens et la désorganisation ont
tout leur intérêt ; quand on sait que l'on
n'est pas coincé ad aeternam dans le pays. Ouagadougou et le
Burkina Faso sont de ces lieux qui
n'ont rien. Pas de ressources, pas de paysages, pas
d'argent, pas de bâtiments architecturalement
intéressants, pas de religion ou de culture dominante mais
un mélange déroutant de croyances. Pas
une seule piscine, pas une seule bibliothèque ouverte
pendant le mois d'Août, 3 mois de délai
minimum pour commander un livre dans une librairie. Un seul
par c où l'on ne va qu'une fois, des
boîtes qui diffusent des playlistes désagréables aux
intérieurs tapissés de miroir les
burkinabès
adorent danser seuls en se regardant dans un miroir au point qu'après trois verres, on croit
avoir
approché son il d'un
kaléidoscope. Pas de gastr onomie ou de plats typiques, pas d'artistes ou de
« créateurs » ou alors des vendeurs de babioles dont on n'a
que faire. Tout est globalement
chaotique. La circulation. Rien ne marche, et ce n'est pas
uniquement dû à l'extinction des feux de
circulation lors des coupures de courant ou aux moments de
folie qui précèdent les pluies
torrentielles. Rien n'est coordonné, le monde se faufile.
L'impression que rien ne tourne (au sens
large, dans la vie de tous les jours) se transforme en chape
de plomb qui tantôt immobilise, tantôt
enrage, et entraîne finalement une espèce d'indifférence ;
il semble vain d'essayer de qualifier ce qui
gangrène le « système » tant les causes sont multiples,
entremêlés. Et surtout sans réelle solution, à
l'échelle d'une vie humaine du moins.
Il est assez difficile d'évoluer dans ce cadre, de
travailler ou même de discuter : au-delà du fait que
l'on n'ait aucune référence en commun pour alimenter les
conversations, les dialogues restent des
dialogues de sourds comme si l'on avait des façons
diamétralement opposées de réfléchir et
d'argumenter sans
que je puisse directement qualifier cette différence sans simplement dire que
leurs propos manquent de logique quand bien même un dialogue réussit à
émerger. « Ils » ont une
réelle difficulté à comprendre les liens de causalité, à
lier les informations entre elles et un manque
simplement de connaissances et d'éléments de comparaison ;
un vide comblé par les « croyances »
qui apportent des réponses toutes faites et qui ont le
mérite d'être multiséculaires,
transgénér ationnelles et de fait peu remises en question.
Je simplifie et raccourcis bien entendu,
mais sans caricaturer. J'ai tout de même rencontré un
étudiant et un travailleur fraîchement diplômé
avec qui il était possible de discuter en confrontant nos
points de vue.
La semaine passée nous sommes allés visiter le pays, en
passant par Bobo Dioulasso, la deuxième
ville du pays. Nous y avons sacrifié une poule en faisant
des v ux : il y a très peu d'activités
touristiques, on ne fait pas la fine bouche. A Banfora, une
autre ville, nous nous sommes levés à
l'aube pour naviguer près des hippopotames en pirogue, un
moment agréable et impressionnant.
Quelles monstrueuses bêtes. Nous avons finalement mangé des
chenilles grillées beurk puis du
chien, luxe suprême. Une bonne viande. Ma coloc' a ramené les restes dans un doggy bag. Elle a
26 ans, fait du tennis, a un abonnement à la piscine d'un
grand hôtel et roule en 4X4. Je l'imaginais
issue d'une famille aisée, elle a seulement eu beaucoup de
chance. Elle a pu voyager en Europe et se
marier avec un allemand qui travaille en ce moment en
Afghanistan, et peut lui offrir une vie
décente. Sa mère (deuxième épouse de son père) avait une
technique toute particulière pour faire
s'endormir ses enfants le ventre vide. Elle mettait des
cailloux dans une marmite qu'elle plaçait sur
le feu, en leur disant de régulièrement de ne pas
s'endormir, que le plat allait bientôt être prêt. Les
enfants jouaient, discutaient pour finalement s’ endormir,
sans jamais savoir qu'il n'y avait pas à
manger à la maison. Aujourd'hui, plus personne ne meurt de
faim à Ouaga, mais seulement des
conséquences de leur mauvaise hygiène de vie et de
l'impossibilité d'accéder au traitement dont ils
auraient besoin. Les accidents de la route sont une plaie,
il ne se passe pas deux jours sans que l'on
croise des voitures arrêtées au bord de la route et un petit
attroupement autour d'un corps ou d'un
véhicule. C'est d'ailleurs la première cause de mortalité
des expatriés. En même temps je ne vois pas
très bien de quoi on pourrait mourir d'autre. Le gaz tue aussi,
bien que de moins en moins. Il y a des
explosions sources d'incendies qui se propagent ensuite
rapidement dans les quartiers où les
habitations sont trop rapprochées. J'ai dû sortir ma
bouteille qui fuyait bruyamment dès le deuxième
jour, quelle drôle de sensation.
La pauvreté est ainsi à la base de la plupart des problèmes,
pardon pour ce truisme monumental,
mais il est bon de le rappeler, puisque cette question n'est
bien souvent pas à la base de la réflexion
ni des discussions de chez nous (ni même à mon sens traitée
à sa juste valeur dans mes études). Elle
empêche d'envoyer les enfants à l'école et de leur donner
ainsi une chance de s'en sortir. Certains
enfants (de la capitale) croient ainsi que les westerns
décrivent la situation actuelle aux Etats-Unis.
Une partie considérable de la population (ils ne connaissent
pas vraiment le fonctionnement d'une
carte bancaire) croit qu'il suffit, en Europe, de faire
sortir de l'argent de certains murs, qui crachent
des billets. Elle empêche aussi l'investissement. Une brique
en terre coûte 8 fois moins cher qu'une
en ciment. Si le système bancaire accordait des prêts, une
maison tiendrait debout une cinquantaine
d'années. Dans une partie considérable de la ville on
reconstruit tous les ans sa petite bicoque, après
la saison des pluies. Elle empêche finalement de sortir de
certaines coutumes par manque de
contrôle étatique ; l’ excision est à présent interdite au
Burkina, seulement personne n’ est là pour
vérifier. D’ après la dernière étude de l’ UNICEF (du 22
juillet) entre 50 et 80 % des femmes de 15 à
49 ans ont fait l’objet d’une excision dans le pays. J’étais
dans une prison samedi pour participer
à
une petite fête avec mon patron qui est dans une association
d’ aide aux détenus et je n’ai croisé
qu’ une exciseuse. Les femmes emprisonnées pour avortement
sont bien plus nombreuses, les
enfants (et les f tus…) sont sacrés ici (6,1 enfants par
femmes en moyenne) .
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