mardi 19 novembre 2013

Le racisme de l'assiette


extraits
Le citoyen est devenu consommateur de la République : « Je ne veux pas que le prof soit bon, je veux qu’il mette 20 à mon gamin ; je ne veux pas que le juge soit juste, je veux qu’il fasse mal à celui qu’il m’a fait mal. Et le politique, je veux qu’il protège ma niche fiscale, mon statut, etc. »



« On dit à un député de droite que s’il soutient un projet de gauche même intelligent, il est un traître. On veut enfermer l’intelligence dans des frontières politiques. Pourquoi ne serions-nous tolérants qu’envers ceux qui ont la même carte de parti ? C’est du racisme politique.
J’ai toujours préféré travailler avec un type de gauche intelligent qu’avec un type de droite idiot. Je disais toujours : “Il faut que les types de droite soient plus intelligents que les types de gauche.” »
« Les hommes politiques sont tous dans la primaire, dans la conquête, dans le conflit des personnes. »

Médiateur de la République (2004-2011), il examine des milliers de réclamations et passe du temps avec des juges d’instruction et des assistantes sociales, témoins précieux de l’évolution du pays.
« La verticalité de notre système fait que les politiques ne parlent pas à ces gens-là, ils sont enfermés dans les cellules de pouvoir. »
 Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine.

« Racisme de l’assiette » 17/11/2013 à 11h17 sur le site de Rue89

Delevoye : « Il faut passer à une société de partage »


En 2011, il diagnostiquait une France prête à exploser. Aujourd’hui, le climat politique et social lui donne raison. Et Jean-Paul Delevoye vient de divorcer avec l’UMP.


Jean-Paul Delevoye au Conseil économique, social et environnemental (Cese), le 13 novembre 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
Trente ans après ses débuts en politique, Jean-Paul Delevoye se retrouve comme au premier jour, libre de tout parti. En choisissant de soutenir aux prochaines municipales le candidat socialiste plutôt que celui de sa « famille », le maire de Bapaume (Pas-de-Calais) depuis toujours a provoqué sa rupture avec l’UMP.
Un divorce dont ce « gaulliste social » de 66 ans parle, presque soulagé, déjà bien distant d’un parti qui ne ressemble plus à son bon vieux RPR, fier d’avancer à contre-courant des codes politiques qu’il exècre.
« J’ai toujours dit que j’avais un seul maître, l’intérêt général et qu’une seule ambition, servir mon territoire. Le seul leader naturel qui peut garder cette capacité de rassemblement est le député socialiste. C’est mon vice-président à l’intercommunalité depuis dix ans, on porte le même projet.
Le parti a sa stratégie, il a la conquête pour obsession. Je le comprends mais on est en divergence. Je n’ai ni amertume ni rancœur, j’ai toujours mis en harmonie mes convictions et mes actes. »

« C’est du racisme politique »

Un peu plus tard dans la conversation, il se fait plus incisif :
« On dit à un député de droite que s’il soutient un projet de gauche même intelligent, il est un traître. On veut enfermer l’intelligence dans des frontières politiques. Pourquoi ne serions-nous tolérants qu’envers ceux qui ont la même carte de parti ? C’est du racisme politique.
J’ai toujours préféré travailler avec un type de gauche intelligent qu’avec un type de droite idiot. Je disais toujours : “Il faut que les types de droite soient plus intelligents que les types de gauche.” »
C’est un discours que l’homme porte bien au-delà de sa situation personnelle. Depuis des années, Jean-Paul Delevoye diagnostique avec virulence la crise de la vie politique française. Sa position le lui permet ; l’époque où les caméras de télé guettaient ses faits et gestes est derrière.
Entre 2002 et 2004, il était le ministre de la Fonction publique de Raffarin, étiqueté « caution terroir », lui le colosse consensuel – 1,93 m – tellement chiraquien, qui n’a pas fait de la politique par vocation : pendant que d’autres préparaient leur carrière à l’ENA, lui dirigeait l’entreprise familiale d’agroalimentaire.
Président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) depuis 2010, cette institution qu’il définit comme « maison du temps long », il observe le jeu politicien avec recul.

Parler aux assistantes sociales

L’abstention grimpe, les partis se perdent en querelles de personnes, les médias se régalent à « fact-checker » les promesses non tenues et les déclarations mensongères et/ou contradictoires. La politique lasse, 70% des Français n’ont plus confiance dans les partis (sondage Cevipof 2013), Delevoye s’exaspère :
« Les hommes politiques sont tous dans la primaire, dans la conquête, dans le conflit des personnes. »
Malgré un parcours politique bien rempli – député, sénateur, président de l’Association des maires de France... – Jean-Paul Delevoye a attendu d’être sexagénaire pour découvrir en profondeur la société française.
Médiateur de la République (2004-2011), il examine des milliers de réclamations et passe du temps avec des juges d’instruction et des assistantes sociales, témoins précieux de l’évolution du pays.
« La verticalité de notre système fait que les politiques ne parlent pas à ces gens-là, ils sont enfermés dans les cellules de pouvoir. »

Le thermomètre Marine Le Pen

En 2011, son dernier rapport fait l’effet d’une bombe : il y fait le diagnostic terrible d’une France où plus rien ne va. Les humiliations s’entassent et l’implosion guette. Deux ans plus tard, Delevoye dit ne pas être surpris par l’état actuel du pays. Pas plus par les révoltes en série que par la montée du FN.
« Quand c’est la révolte des affamés ou des humiliés, comme ces Bonnets rouges, c’est beaucoup plus violent et imprévisible parce qu’elle n’est portée par aucune espérance alternative. [...]
Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine. »
Face à une situation de plus en plus complexe, l’ancien ministre, à la tête du Cese, réfléchit à des solutions, « ouvre des pistes de réflexion », plaide pour un choc culturel aux airs d’utopie : démocratie locale, refonte du système éducatif, « société de l’épanouissement »...
A 66 ans, il continue de changer d’avis : cet ancien cumulard se prononce contre le cumul des mandats, ce gaulliste invétéré se demande si la Ve République est le système idéal.
Mais l’écoute-t-on vraiment au sommet du pouvoir ? Le Cese est une vieille institution, bien souvent qualifiée d’inutile et de palais du copinage, où les citoyens n’ont pas l’habitude de mettre les pieds, de peur de salir les beaux tapis.
Jean-Paul Delevoye assure que tout ça est en train de changer, que c’est l’un des seuls endroits où « on fait parler entre eux des agriculteurs et des écologistes d’algues vertes et de pesticides ». Grand entretien.

Jean-Paul Delevoye au Cese le 13 novembre 2013 (Audrey Cerdan/Rue89)
  1. « Le citoyen est devenu consommateur de la République »
  2. « Nous vivons un moment politiquement très dangereux »
  3. « On va passer d’une société de la performance à la société de l’épanouissement »
Rue89 : Selon vous, les hommes politiques ne cherchent plus à convaincre mais à séduire.
Jean-Paul Delevoye : Ces dernières années, avec la fin des idéologies et les défaillances du libéralisme, les politiques obsédés par le pouvoir ont préféré gagner des électeurs même s’ils perdaient des citoyens.
La classe politique a délité les ressorts citoyens du vivre-ensemble. Dans toute la société, on observe la montée de l’individualisme, le rejet d’un projet collectif.
Le citoyen est devenu consommateur de la République : « Je ne veux pas que le prof soit bon, je veux qu’il mette 20 à mon gamin ; je ne veux pas que le juge soit juste, je veux qu’il fasse mal à celui qu’il m’a fait mal. Et le politique, je veux qu’il protège ma niche fiscale, mon statut, etc. »
Vous dites que c’est la victoire du court-termisme.
Le court-termisme s’aggrave, alors que pour construire des convictions, il faut du temps. La temporalité de la décision politique s’est considérablement raccourcie : le quinquennat, Internet... On veut tout tout de suite. Le politique est dans la posture, dans la gestion de l’émotion et nous sommes dans des démocraties d’émotion.
N’importe quel système peut être détruit en une poignée de seconde. Andersen avec Enron, plus belle boîte du monde, a été balayée en trois mois suite à un scandale. DSK a été irrémédiablement laminé par des vagues émotionnelles que plus personne ne maîtrise.
C’est la même chose au niveau économique : des stratégies de court-terme sont souvent prises mais préjudiciables à moyen terme. La force du capitalisme allemand, c’est l’appropriation familiale du capital, la proximité régionale de la caisse d’épargne et une proximité avec les élus régionaux.
Ce court-termisme a exacerbé le cynisme pour la conquête du pouvoir. Et aujourd’hui, la légitimité que vous acquérez par l’élection ne vous donne pas la légitimité pour décider pour tout, ce qui donne la prime aux minorités contestataires, aux systèmes souterrains et parallèles.
Les gens ne croient plus du tout au respect de la loi. Ils ne croient plus à la force du droit, ils revendiquent le droit à la force. Le faible a l’impression d’être écarté du système et la révolte du faible est une révolte violente.
Et l’abstention... Le maire de New York vient d’être élu avec 76% d’abstention.
Est-ce aussi un échec du système de formation politique : ENA et haute fonction publique ?
Ce n’est pas un mal que d’être formé mais désormais, on fait carrière politique. On démarre à 25 ans, on va dans un cabinet et la formation politique classique fait qu’on a priorisé la stratégie de carrière politique et non pas la confiance des citoyens.
La longueur de la carrière politique par rapport à une temporalité raccourcie entraîne une absence de rotation et ne permet pas une oxygénation du système. La classe politique n’est plus le reflet de la société. Il a fallu des lois comme la parité pour voir apparaître une nouvelle génération.
Le non-renouvellement politique est absolument pathétique. On ne donne pas la parole aux Français d’origine étrangère alors que le problème de l’immigration et de l’intégration est un sujet majeur. On a besoin de 50 millions de populations étrangères d’ici 2050 pour équilibrer la population active en Europe. Et ce qui me frappe, c’est que de plus en plus de députés expriment leur déception d’être députés.
Les différences entre l’offre de droite et l’offre de gauche se réduisent...
Les gens s’entendent pour le pouvoir mais pas sur des convictions. L’alternance a montré que quand on arrivait au pouvoir, on faisait l’inverse de ce qu’on disait dans l’opposition et quand on est dans l’opposition, on fait l’inverse de ce qu’on faisait dans la majorité.
L’augmentation des impôts, c’est Fillon qui l’a décidée, c’est Ayrault qui l’applique. Sur l’intervention au Mali, l’opposition demandait un débat parlementaire qu’elle aurait certainement condamné au temps de Sarkozy et la gauche devient interventionniste alors qu’elle est plutôt pacifiste.
On est à front renversé et l’opinion se dit que les politiques n’ont pas de convictions mais que des postures.
Comment expliquez-vous le succès du Front national ?
Dans le paysage politique aujourd’hui, l’offre la plus cohérente est celle du Front national. Il y a un leader, un parti, une organisation.
Au Front de Gauche, il pourrait y avoir une cohérence mais elle est compliquée par la diversité des leaders. Il pourrait aussi y avoir une cohérence sur le centre entre Bayrou et Borloo autour de l’Europe.
Mais c’est clair que les deux partis politiques les plus malades aujourd’hui par cette absence de cohérence, de leaders, de projets et par les conflits de personnes, c’est le Parti socialiste et l’UMP. Si ça se poursuit, on ne peut que prévoir l’éclatement du PS et de l’UMP, et une recomposition de l’offre politique basée autour de projets.
La vraie frontière n’est plus entre la droite et la gauche mais entre ceux qui croient à l’Europe et ceux qui n’y croient pas.
Marine Le Pen apparaît comme l’arme légale et politique pour renverser le système. J’ai toujours reproché à la classe politique républicaine d’avoir une attitude de culpabilisation presque judéo-chrétienne lorsqu’elle dit que c’est un péché de voter Marine Le Pen. On joue sur la « conscience » des bons électeurs.
Marine Le Pen est le thermomètre qui donne la température de l’insuffisance de l’offre politique républicaine. Le vote FN n’est pas l’adhésion à un choix de société, on voit bien dans ses discours que ce n’est pas cohérent, mais c’est un outil intéressant pour dire merde » à la classe politique traditionnelle

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