mercredi 30 décembre 2009

Un homme tend la main..

Un homme, jeune, devant le Serpent Vert. Il tend la main.

C'est gênant de voir quelqu'un qui quémande. Il nous met face à la misère du monde, à notre tendance à retenir même ce que nous avons en trop, en espérant ainsi assurer l'avenir ?

Il dit bonjour aux gens qui entrent dans le magasin. Il sourit. Il est debout, dans le froid et la pluie, pas très bien habillé.

Je lui dis bonjour. Je pense à lui pendant mes courses. Mentalement ,j'additionne mes articles et me demande quelle pourrait être la proportion que je pourrais lui concéder ? Ai-je vraiment besoin de tout ce que je pose dans le panier ?

Cette tablette de chocolat procure du plaisir, mais une fois consommée, ne changera rien dans ma vie, au-delà du besoin physiologique bien sûr.

Et lui donner 2 euros ? Qu'est-ce que ça peut changer dans le monde ? Rien...rien que la joie de s'alléger surtout. Un sentiment de liberté. Une main-mise, re-mise. Remettre l'argent à sa place qui est, à la base, de rendre les échanges plus faciles, pratiques. Il n'a guère de valeur en soi. L'argent ne nous nourrit ni nous habille. C'est un intermédiaire en quelque sorte. Il ne fait que permettre et générer. Nous l'oublions trop souvent.

En sortant, je lui ai donné 2 euros. « merci, Madame » m'a-t'il répondu. Peut-être pense-t'il que ce n'est pas assez ? Que ressent-il sous son sourire, sourire de circonstance ? Est-ce ce sentiment de culpabilité, oh bien diffus, qui m'exhorte à poser toutes ces questions ? Ou m'intéressé-je vraiment à cet homme et à la vie qu'il mène ?

Ce qui me dérange malgré tout est la dépendance à laquelle cet homme se soumet. Dépendant des âmes charitables, du bon vouloir des passants. Et obligé de déguiser son visage en sourire. A-t'il vraiment envie d'être gai ? J'en doute. Mais a-t'il le choix ?

Peut-être ne se soumet-il pas du tout, après tout, ou pas plus que nous, consommateurs, qui travaillons de plus en plus pour subvenir, non pas tant à nos besoins réels, mais à nos désirs pressants rendus incontournables par les sollicitations de la publicité.

Je lui demande quel est son pays de naissance. Roumain. On dit que ce sont des voleurs... je suis effrayée par cette pensée de récupération. Ni vue ni connue, j'alimenterais à mon tour la pensée unique que pourtant je suis la première à critiquer ?

Je me reprends. Je lui demande s'il a froid. « oui », répond-t'il. Quelle question ! Je grelotte moi-même dans ma veste gore-tex enfilée sur ma polaire;

Je suis un peu mal à l'aise, pourquoi ? Je sais trop bien que le monde ne changera que grâce à la prise de conscience de chacun de nous, individuellement. Suis-je prête ? Quoique je fasse, ce ne sera jamais assez, mais puis-je évaluer ? Est-ce une raison pour ne rien faire ?

S'ouvre le gouffre de l'impuissance. Autre forme de fuite. Ne s'agit-il pas tout simplement de faire, au moment même, ce qu'il est possible, sans vouloir aller au-delà pour s'ériger en sauveur ?

Et me voilà de nouveau repartie dans cette espèce de déviance (pour me tenir en-dehors de ma responsabilité d'humain qui sait bien que chacun veut vivre, et que notre condition est de vivre avec d'autres qui veulent, eux aussi, vivre dignement ?) : je me surprends encore à me demander s'il ne sourit pas uniquement pour obtenir un gain. Et alors ? Puis-je m'ériger en juge ? Qui suis-je à lui dire qu'il pourrait au moins nettoyer les pare brise, ramasser les papiers.... moins boire.... manger mieux....

J'ai l'outrecuidance de me persuader que, si j'étais à « leur » place, à tous ceux qui nous dérangent dans notre bonne conscience de petit soldat d'une troupe qui exclut tout(s) ce(ux) qui ne sont pas source de profit.. qui profite à bien peu d'entre nous en définitive !...., je me procurerais une hotte et commencerais à nettoyer la chaussée. Les gens me donneraient de l'argent, mais pas gratuitement.

Quelle différence entre un sourire forcé et un travail quelconque ? Tous deux participent de la même nécessité qui est de subvenir à ses besoins. Lesquels ?

Chacun de nous veut vivre. Le partage est donc le seul moyen pour tous de nous en sortir. Mais les derniers spécimens de l'ère de profit se cramponnent encore pathétiquement à leurs acquis. Ils n'ont pas encore compris qu'un sourire est plus beau s'il est gratuit. Il a le don de réchauffer les coeurs. L'argent les glace.

Voilà à quoi m'a menée ma sortie au Serpent Vert où j'ai acheté de la levure de bière, des céréales, du riz, du sésame, l'excellent sucre Rapadura, des lentilles, des amandes... le tout en vrac. Choisir la quantité exacte, faire des petits paquets, coller l'étiquette pour les fermer et pouvoir les identifier. Traîner un peu dans les rayons, découvrir des produits, parfois inaccessibles car trop cher, mais cela me donne des idées... tiens, les bananes bio coûtent à peine plus cher ... par contre le chocolat, vu la quantité que je mange en ce moment, non... j'assume ! Et les odeurs d'épices, d'huiles essentielles... le calme.... un plaisir de faire les courses.
Il m'arrive encore d'aller à AUCHAN, rarement, et d'en sortir les mains et la tête vides ; j'ai "oublié" ce que je voulais.... à voir tout ce « trop », je ne sais plus faire mon choix. J'ai mal à la tête....

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